Regardez-moi, amis magnifiques, et fusillez-moi car je me suis rendu coupable sur vos terres. Je dis avoir dénudé le monde sous vos yeux, je dis l'avoir touché alors même que je vous parlais, que je vous regardais dans les yeux. Je dis avoir foulé vos champs et vos rues, je dis avoir bu votre eau et mangé votre blé. Je dis avoir volé un peu de votre soleil et un peu de votre sécurité, la nuit, alors que je rôdais devant vos porches. Je dis m'être associé aux forces de l'ombre, celles-là même qui ont fait parvenir la lumière jusque dans la paume de vos mains. Je dis que vivre en bon croyant sans croire jamais est le plus noble et vertueux des chemins. Je dis que pour réhabiliter la seule idée de beauté j'ai dû diluer toutes les valeurs dans mes baignades ; j'ai dû ronger les piliers avec mes seuls ongles ; et je dis que ces actes salvateurs sont le fruit d'une mission messianique que je me suis attribuée moi-même. Je dis avoir trouvé une couronne dans un fond de bouteille et l'avoir enfoncée sur ma tête d'enfant. Je dis m'être vanté cent fois des talents que je vous ai ravis et m'être emporté contre votre insignifiance. Je dis avoir épuisé l'amour que vous étiez supposés trouver dans la source avec moi ; je dis, moi, l'avoir consumé avant même que vous ne projetiez quelque image sur son nom. Je dis avoir eu la chance et l'égoïsme de vivre et de mourir avant l'aube qui vous a vu lever. Je me rends garant, et donc coupable, de tout ce que vous vivrez aujourd'hui et pour le reste de vos jours, car j'ai tout vu avant ; j'ai vu les choses se mettre en place dans votre dos, à l'heure du complot ; je dis m'être tu, et j'ai contemplé, et j'ai apprécié tout ce qu'il m'a été donné de voir et que vous n'avez pas vu, et que vous ne verrez jamais. Je dis que je suis fier de la supériorité de fait que me confèrent ces témoignages. Je confesse que je ne vous reconnais pas, mais malgré tout je me sens redevable ; je vous dois le feu de Prométhée, au bas mot. Je vous dois la corne d'abondance, je vous dois l'armure d'Achille et le glaive qui la percera. Je dis avoir menti, dans le silence, toutes ces années. Je m'annonce par avance coupable d'un crime atroce qu'il me tarde de commettre, et qui de toute évidence m'incombe. Mes pauvres amis, à votre réveil le silence ne sera plus. Faîtes semblant de célébrer ou rentrez pleurer dans vos foyers, dans vos familles, mais rien ne sert de me persécuter ; vous ne trouverez rien de plus que la révélation de votre propre peur. Car oui, je crois que vous avez peur, comme moi, que ce silence qui vous couve ne vous laisse en vers nus, la peau à vif, un beau matin. Et je dis que celui qui nie, celui qui se drapera dans les apparences de la haine, celui qui me conspuera, je dis que celui-là ne me connaît pas. Et pourtant j'aime celui-là, car je vous aime tous ; votre désapprobation nourrit cet amour comme la pisse alimente le feu. Je ferai les plus grandes choses pour le plaisir de vos yeux, j'assassinerai le silence pour la cause.