6 mois plus tard
Le vent s'insinue dans mes cheveux, fait crisser les feuilles des arbres sous mon passage. J'adore l'automne, surtout à Édimbourg. Il y a quelque chose de magique dans ce lieu hors du temps. Les arbres arborent doucement les nuances d'ocre, d'orange et de jaune. Le style gothique des bâtisses rend cette saison tout à fait particulière.
Je ne regrette pas d'avoir posé mes bagages ici. J'ai hésité avant de m'y installer. L'Angleterre aurait été une bonne destination aussi. Peut-être même la France, même si la barrière de la langue aurait été un obstacle de taille. Mais ici, je reste chez moi. J'ai trouvé une bonne université, un job satisfaisant et un appartement pas trop miteux pour mes moyens limités.
Je me suis inscrite il y a 5 ans à l'université d'Édimbourg, qui proposait un cursus intéressant en psychologie et en criminologie. En arrivant dans la ville, je me suis dit que je pouvais tout recommencer à zéro. Je n'avais pas besoin de subvenir au besoin d'une famille mais juste à mes besoins. J'ai trouvé un emploi dans un bar qui fait office de salon de thé l'après-midi, ce qui m'a permis de financer des études et de payer les factures. Ça n'a pas été facile mais j'y suis arrivée. Aujourd'hui, mon salaire minable de doctorante ne me permet pas de m'y consacrer entièrement, par conséquent, je n'ai jamais quitté mon emploi de barmaid le soir et j'aide Isla dans sa librairie le week-end.
C'est d'ailleurs là où je me rends ce matin. La petite cloche de la porte vitrée de son magasin tinte lorsque j'entre. Le vieux bois du parquet craque sous mes bottines.
- Je suis là, Isla !
- En haut, me répond-elle dans le fond du magasin.
Un escalier en bois mène vers sa réserve de livre. C'est là qu'elle entrepose les livraisons, les livres à mettre en rayons et ceux cher à son cœur qu'elle souhaite conserver.
Je la rejoins en ôtant mon manteau fin en tweed.
- Tu as reçu une nouvelle livraison ? Je peux étiqueter les livres avant de les mettre en rayons si ça te va ? Je demande en posant mon manteau sur la chaise de son bureau.
- Ce serait super, merci Alba. Je suis un peu submergée par ma comptabilité. Je crois que j'ai besoin d'une pause.
Elle s'interrompt pose son stylo et soupire bruyamment.
- Alors, comment se passe le recrutement de tes participants pour ta thèse ? Me demande-t-elle.
Je comprends son envie de changer de sujet mais à vrai dire je préférerai le silence plutôt que d'en parler.
- Compliqué, Je lui réponds avec une moue. J'ai envoyé des tas de demandes aux prisons du pays, j'ai même fait les cabinets d'avocat pénaliste mais je crois que ce sera encore plus dur que ça ne l'est déjà. Si je ne trouve pas rapidement un sujet à inclure dans l'étude, je pourrais perdre les financements de mon étude. Mon directeur de thèse me menace de me lâcher.
- Waouh. Il pourrait t'aider au lieu de te menacer. Après tout, il doit avoir des contacts lui aussi. Enfin, j'imagine.
- Que j'ai déjà utilisé, mais sans succès. Je désespère un peu. Je ne veux pas perdre mon poste de doctorante et je n'ai pas d'autres sujets de thèse. Surtout que si je ne trouve pas de participants, je risque de devoir changer de matière pour mon doctorat. Si je ne trouve pas de criminel, je n'aurais aucune possibilité de faire une thèse en criminologie.
- Tu pourrais toujours trouver un sujet en rapport avec les victimes ? Me propose-t-elle en haussant les épaules.
- Ça ne fonctionnera pas. C'est ce que les directeurs de thèse attendent de moi. Un échantillon de criminel assez conséquent pour mener des études et faire avancer le département recherche de l'université. C'est ce sur quoi je me suis engagée en devenant doctorante. Sinon ils ne m'auraient pas accepté. Je n'ai donc pas le choix.
Isla hoche la tête comme si elle comprenait. Mais je sais que ce n'est pas vraiment le cas. En réalité, je ne lui dis pas tout. Je ne lui dis pas que je risque de perdre mon financement et donc mon salaire. Même s'il n'est pas conséquent, il n'en reste pas moins ma principale source de revenu. J'ai loué au début du mois un appartement plus grand dans un quartier un peu moins « populaire » qui me coûte donc plus cher et je commence à regretter mon choix. Je pourrais toujours en changer si je perds mon emploi. Mais mon ego lui ne s'en remettra pas, si je perds mon statut de doctorante, je perdrais tout ce pourquoi je me suis battue jusqu'à aujourd'hui.
J'ai choisi la psychologie d'abord parce que je voulais comprendre. Me comprendre, comprendre mes parents et puis in fine me reconstruire. Finalement, ça m'a plu et je suis devenue passionnée par tout ça. La clinique ne m'intéressait pas ; je suis introvertie, par conséquent, mes compétences sociales sont restreintes. Je n'avais pas envie de nouer des relations humaines mais plutôt de les étudier alors je me suis tournée vers la recherche. C'est ce que je préfère. Mais me voilà un peu bloquée dans mes projets. Pour obtenir un financement et une place de doctorante, j'ai proposé un sujet de thèse très ambitieux. Voire impossible. Apparemment, j'ai réussi à convaincre mon directeur de thèse et le département de recherche. Mais pas les sujets qui devraient être au cœur de mon étude.
- C'est quoi déjà le sujet de ton étude ? Me demande Isla me sortant de mes réflexions.
- L'objectif est de faire un lien entre la présence de traumatismes dans la vie d'un individu et les actes criminels graves qu'il commet à l'âge adulte. Le but est surtout de comprendre comment se construit une personnalité criminelle. Mais pour ça il me faudrait des criminels qui accepteraient que je les interroge. En réalité, le sujet de ma thèse est flexible. Vu que je suis en difficulté pour recruter des participants, il va bien falloir que je m'adapte à l'échantillon de personnes que je trouverai.
- Tu n'as pas peur d'en trouver ? Des criminels pour ton étude, je veux dire. C'est passionnant, fascinant même, mais un peu flippant aussi.
- Je n'ai pas vraiment eu le temps d'y réfléchir puisque je n'en ai toujours pas trouvé.
Je continue d'étiqueter les livres en silence, pendant qu'Isla se fait tournoyer sur sa chaise à roulette en fixant le plafond, absorbée par ses pensées.
- J'ai écouté un podcast sur une affaire de « true crime » hier.
Elle continue à fixer le plafond mais stabilise sa chaise qui tournoyait sans discontinuer jusqu'à présent. Je me redresse attendant la suite.
- C'était à propos d'un meurtre. Une affaire assez sordide... et les preuves sont, genre, accablantes. Le mec n'a pas encore été condamné enfaite. Il attend son procès je crois bien mais peut être que tu pourrais le contacter... c'est à Édimbourg, finit-elle en tournant son regard vers moi.
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Corruption
RomanceAlba a eu une enfance difficile. Doctorante en criminologie, elle peine à trouver des participants pour réaliser son étude de recherche sur des criminels. Elle fait alors la connaissance de Liam. Un homme dangereux, accusé de meurtre, qui accepte d'...