Bienvenue à Bland: partie 1

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Je me réveillai en sursaut, face à la cicatrice et aux lunettes ronde de Harry Potter. Pas le vrai, bien évidemment. La couverture du premier tome. Il me fallut quelques secondes pour que le sommeil finisse de se dissoudre, et de me laisser revenir à mes sens. Mes esprits revenus, je me levai précipitemment pour enfoncer le précieux livre dans mon sac de cours, et le cachai sous quelques manuels de math et d'anglais. Je me figeai quelques secondes. Aucun bruit ne semblait provenir du reste de la maison. Je reprenai ma respiration, un peu rassurée. Je m'étais endormie en le lisant la veille, et, dans ma fatigue, avais négligé de bien cacher le livre. Ça ne me ressemblait pas d'être aussi imprudente, mais l'épuisement devait avoir pris le dessus. J'attendais de pouvoir lire Harry Potter depuis si longtemps! Ce n'était pas un livre bien récent, mais tout le monde le connaissait, et la sensation d'être la seule à être ignorante d'un sujet de culture aussi important me faisait sentir nulle. Avoir l'occasion de me le faire prêter était une occasion en or que je ne pouvais pas laisser passer.

A pas lent, je me levai et m'habillais en vitesse. Un vieux jean dont les couleurs n'étaient plus de toute jeunesse, un t-shirt blanc uni, et un sweater trop grand. C'était le meilleur déguisement pour se noyer dans la grisaille locale. A pas discrets, veillant à ne pas faire craquer les lattes du parquet, je me faufilai jusqu'à l'escalier, et descendait à la cuisine, ignorant l'imposante îcone du christ qui trônait au dessus de la porte de la pièce.

-Lan? Tu es levée bien tôt aujourd'hui.

Je sursautai violemment, et me tournai vers le salon, séparé de la cuisine par un simple bar. Là, assis sur une chaise autour de la table à manger, mon père était assis en train de lire les dernières nouvelles sur sa tablette. Je ne l'avais pas vu en entrant, je m'étais même attendue à ce qu'il ne soit pas encore levé.

-Oui, je... j'étais réveillée, alors.

-Bien.

Il n'ajouta rien, se replongeant dans sa lecture, laissant mon coeur battant. Il semblait ne pas avoir aperçu le livre sur lequel je m'étais endormi. Un courant de soulagement me traversa, et je me préparai un café et une tartine avant d'aller m'asseoir sur une autre chaise autour de la table, en silence. De temps à autre, mon paternel laissait échapper un lourd soupire, et ses sourcils broussailleux se fronçait sur ses yeux d'un bleu glacial. Ses cheveux autrefois blonds commençaient à se griser, ne faisant que renforcer son visage dur et sévère. Ses mains noueuses enserraient la tablette comme si elles étaient prêtes à la réduire en bouillie. Les nouvelles du jour ne devaient pas être bonnes, mais je ne posai pas la question. Mon père n'aimait pas que l'on parle à table, en dehors du bénédicité réglementaire pour remercier dieu. Il n'aimait pas beaucoup parler en général, d'ailleurs. Je n'entendais jamais autant sa voix que lors de ses sermons, tous les dimanche, à l'eglise. Je me hâtais donc de finir mon frugal petit déjeuner, avant de m'éclipser sans un mot jusqu'à ma chambre pour préparer mes affaires pour la journée. J'eu un instant d'hésitation en entrapercevant la tranche de Harry Potter au fond de mon sac. J'aurai adoré recevoir une lettre pour Poudlard à son âge... sa vie semblait tellement palpitante, tellement belle, si éloignée du morne quotidien auquel j'étais habituée. Jour, après jour, après jour, à faire le moins de bruit possible à la maison, à aller suivre des cours prodigués par des profs qui semblaient moins intéressés par la leçon que par la perspective de leur retraite approchant à grand pas. A subir les quolibets stupides des gamins du coin. A cacher qui j'étais réellement. Et à espérer que, d'ici quelques mois, une fois mon diplôme en poche et le lycée terminé, je pourrai m'éclipser de cet endroit pour ne plus jamais y remettre les pieds.

Cet endroit, c'était Bland, Alabama. Un nom banal pour un ville vide et insipide. Le cinéma du coin ne repassait que de vieux films en noir et blanc de la "bonne époque", son propriétaire considérant que le cinéma moderne était "gangréné par des idées communistes". L'attraction qui attirait tous les lycéens, c'était le McDonald, où ils venaient tous ses regrouper comme des mouches attirées par l'odeur des excréments. Ce n'était pas qu'ils appréciaient particulièrement l'enseigne, mais simplement qu'il n'y avait rien d'autre de notable dans les environs. La seule preuve que Bland avait un jour vu un évènement intéressant se produire était une vieille plaque commémorative rouillée sur le square devant la mairie, mentionnant une obscure bataille de la guerre de sécession et la victoire des troupes confédérées. Une victoire qui semblait ne pas les avoir aidés à gagner la guerre, visiblement. Même le collège-lycée était imprégné de cet espirt réactionnaire - la "Nathan Bedford Forest High School", autant dire que donner à l'endroit où on éduque la future génération le nom du premier grand sorcier du Ku Klux Klan était assez représentatif du genre d'endroit qu'était Bland.

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