Bienvenue à Bland: partie 2

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Je déglutis alors que la poignée s'abaissa. Plus personne ne venait à l'infirmerie depuis des mois, au bas mot! Pas depuis que la précédente infirmière, Mrs. White, avait été l'une des victimes des étranges disparitions qui frappaient la région. Elle avait la réputation de dealer des pilules de fentanyl contre rémunérations aux junkies du lycée, et était généralement une personne détestable, peu de monde avait donc pleuré sa disparition - et encore moins Allison et moi, qui avions gagné un lieu de paix et de tranquillité. Ma chérie avait même profité de sa position privilégiée de fille du maire pour se fournir un double des clefs de la pièce, qui restait autrement fermée. Et n'avait aucune raison de rouvrir de sitôt. Après tout, les professionnels de la santé ne se bousculaient pas au portillon pour prendre un poste au fin fond d'une ville rurale de l'Alabama, et encore moins pour s'occuper à longueur de journée de lycéens.

Quelle ne fut pas ma surprise, alors, en voyant entrer une grande femme en blouse blanche. Même Mrs. White ne s'embêtait pas à porter cet uniforme. Elle avait de long cheveux noirs, parfaitement raides, ramenés en une queue de cheval haute. Ses yeux ornés de cernes impressionnantes avaient une expression désabusée et fatiguée. Ils étaient d'un noir d'encre et recelaient d'une lueur quelque peu dérangeante qui me provoqua un léger frisson lorsqu'ils croisèrent les miens. Elle portait un masque chirurgical cachant le bas de son visage, lui donnant un air plus similaire à une chirurgienne qu'une infirmière de lycée. Mais, surtout, elle avait la peau mat et les pommettes hautes des natifs. Cela me surpris tellement que j'en perdais ma capacité à parler pendant quelques courts instants, qui furent ceux qui auraient pu me permettre de me défendre.

L'inconnue plissa les yeux en nous voyant toutes les deux, debout à côté de l'unique lit, encore légèrement échevelées, habillées, certes, mais les habits froissés. Elle ne pipa mot. Une autre voix retentit dans son dos, nasillarde au possible, un voix qui m'était bien plus familière et qui fit blêmir Allison à côté de moi.

-Alors, Miss? Que pensez vous de votre nouveau bureau? Demanda Mr. Kane, le directeur de l'établissement, qui n'allait probablement apprécier de découvrir le double des clefs que possédait Allison.

-Poussiéreux. Répondit simplement l'infirmière, et sa voix grave et vibrante sembla se réverbérer dans mon esprit.

-Pou...! Enfin, je veux dire, la salle est inoccupée depuis plusieurs mois, et l'équipe de ménage n'a pas les clefs. Mrs. White aimait beaucoup s'occuper elle même du nettoyage de son bureau!

Elle préférait surtout que personne ne mette la main sur les drogues qu'elle faisait passer dans l'établissement. Mr. Kane, toujours dans le couloir, ne pouvait pas encore nous voir. Mais la nouvelle  infirmière, elle, semblait nous dévisager longuement, comme une juge en train de décider de son verdict. Si elle laissait le directeur entrer dans la pièce, s'en était fini de nous.

-Personne n'a donc la clef de cette pièce? Demanda-t-elle.

-Personne, sauf vous! Rétorqua Mr. Kane. Nous vous sommes encore une fois éternellement reconnaissants d'avoir accepté ce poste, Miss Wens. Maintenant, si vous voulez bien-

-Montrez moi le reste du lycée. Le coupa la fameuse Miss Wens.

-V-vous ne voulez pas voir votre bureau de plus prêt?

-J'aurai tout le loisir de le faire plus tard. Et de m'occuper de la poussière. Rétorqua-t-elle avant de refermer la porte.

La clef tourna dans la serrure, et les pas des deux visiteurs impromptus résonnèrent dans le couloir. Je relâchais soudain ma respiration, et Allison en fit autant à côté de moi, avant de se laisser tomber sur le lit, le visage entre les mains.

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