13 : JULIEN

12 2 0
                                    

■ OPENING JUSTE AU DESSUS ^ □

***************

Julien était tombé dans une profonde déprime depuis que Jérémy avait découvert son sombre secret. La mélancolie possédait l'entièreté de son âme, de son être ; il ne faisait plus attention à la vie autour de lui, partait juste se promener ; si bien qu'il mit bien trop longtemps à réaliser que son précieux ordinateur avait miraculeusement disparu.

Il arriva rapidement à la conclusion que c'était Jérémy qui l'avait volé, c'était certain. Il n'avait même pas la force d'esprit de s'énerver ; simplement il se dit qu'il n'avait plus sa source de pouvoir, que c'était fini. Tant pis.

Mais malgré cela, cette perte invoqua en lui de sombres réflexions.

Un Homme qui n'avait que la puissance en sa possession n'est plus rien lorsqu'on la lui enlève. En conséquence, il n'était plus rien. Juste un jeune paumé. On lui avait retiré bien des choses ; l'ami était une douleur insoutenable. Le souffle de son âme l'avait envoyé dans le dérangement. Le pouvoir, c'était juste remuer le couteau dans la plaie.

Plus jeune, Julien avait de la substance, une étincelle dans la conscience. Il faisait plein de choses, mettait en oeuvre innombrables projets qu'il dénommait "artistiques", qui prenaient plein de formes différentes. Et il adorait ça. C'était innocent, débile, ça l'occupait. 

Au fil du temps, il avait changé. Il avait commencé à devenir ambitieux, en mal. Sauf qu'on ne peut devenir ambitieux pour "l'art" comme celui que faisait Julien, sous peine d'en ruiner la vie ; et l'amusement mourrait. Et donc, fatalement, au fil des années, les projets de Julien devenaient de moins en moins artistiques et innocents, et de plus en plus comme son projet de jeu, le Projet Moriarty. 

Plus il y pensait, moins ça avait de sens. Un éclair le frappa. Il regarda à travers sa vitre. Enfin, au bout de si longtemps, il remarqua que les corbeaux avaient disparus. 

Et il comprit. Il comprit tout de suite que c'était à cause de l'ordinateur. Que tout était lié ; et que tout était fini, maintenant. Il était libéré du pouvoir. 

Cette réalisation prolongea encore ses réflexions sur sa vie, sur lui-même. Le pouvoir l'avait rendu fou. Le pouvoir est la meilleure façon de tuer un homme.

Maintenant que sans pouvoir, il n'était plus rien, il n'avait curieusement aucune envie de retrouver cette puissance égarée. Comme si la moralité, la bienséance l'avait gagné tout d'un coup ; il n'avait plus envie de faire de mal juste pour devenir fort et célèbre. 

Il reprenait contact avec le lui d'antan, parti depuis tellement d'années. Il revenait à sa propre racine. 

Et puis, en vrai, c'était des conneries, ces histoires d'échecs, ces histoires de jeu, de Moriarty... Pourquoi faire cela ? Qu'est-ce qu'il en ressortait ? Quel était le but de l'aventure, à part pouvoir dire à la fin ; "je l'ai fait" ?

Le Projet Moriarty était une parfaite allégorie de tous ses projets depuis si longtemps ; au début si prometteur avec tant d'action et d'espoir, mais devenu si rapidement fade, rassis, une corvée, s'éloignant totalement de ce que Julien avait imaginé, par manque de motivation. Il avait ruiné ça tout seul en se concentrant sur les autres choses de la vie ; il avait tant changé en menant sa belle vie avec Jérémy, ses objectifs aussi, et il n'y arrivait plus. Cela n'avait plus de sens, cela devait se finir ; pour qu'il puisse passer à autre chose.

Il avait envie de faire les trucs qu'il aimait vraiment maintenant, ses priorités avaient changées. Il n'avait plus envie de réfléchir. Il avait envie de faire vraiment n'importe quoi et de le kiffer. De faire tout ce que son coeur désire, comme quand il était plus jeune...
Et enfin, il se dit que finalement, l'art, aussi bête soit le projet, n'avait de valeur que quand on y mettait son âme.

Sur cette pensée, il se leva afin de pouvoir regarder entièrement la vue que lui offrait sa fenêtre, maintenant dégagée, désertée par les corbeaux. Il y vit sa mère qui arrachait les mauvaises herbes à l'avant. La vue de ce spectacle banal du quotidien lui noua la gorge et serra son estomac sans qu'il ne sache pourquoi.

Il se sentait subitement coincé dans cette petite pièce, emprisonné même, comme si il n'y avait plus d'issue, qu'on l'enfermait ici, qu'il ne pouvait faire autre chose d'autre que de regarder par la fenêtre ; il avait envie de sortir, de courir partout, d'aller à Paris, de faire quelque chose ! Et il le faisait, avant. Mais maintenant que sa morale avait changé, qu'il refusait catégoriquement de voler des véhicules pour rouler jusqu'à la capitale alors qu'il n'avait même pas le code, cela lui semblait impossible. Comme si sans permis il était enfermé. Il n'avait qu'à marcher -trop longtemps- jusqu'à la gare. Mais même, une fois à Paris, que faire ? 

Il soupira et chassa ces pensées de son esprit. Il allait se reprendre en main, ce n'était pas grave.

Il aurait très bien pu en rester là, laisser Jérémy faire ce qu'il voulait maintenant. Mais Julien détestait laisser les choses inachevées, abandonner en cours de route. Pour lui, il fallait conclure, coûte que coûte, peu importe comment cette fin pourrait prendre fort.
Alors, il prit son sac, et se rendit à Paris ; mais cette fois ci, il prit la gare, comme tout le monde. 


Échec & Mat [MisterJDay]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant