Les étoiles brilleront toujours.

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Amal a mal. La palme de ses pieds colle au goudron brûlant, laissant des petites empreintes de pas rouges sur le sol. Le sang se mélange à la poussière de la route, s'infiltrant à travers le t-shirt déchiré de la jeune fille. Les grains de sable couvrent ses plaies, pansements bon-marchés faute de trouver mieux.

Elle avance péniblement, chaque pas une épreuve, chaque respiration un effort. Amal serre les dents et passe la main sur ses talons, le liquide poisseux colle à ses doigts comme du miel. En fermant les yeux, elle pourrait presque s'imaginer dans le jardin de sa Teta, assise sur la natte sous le figuier, le pot de miel dans les mains. Le vent chaud caresse son visage, apportant l'odeur des fleurs de jasmin et des feuilles de menthe fraîche. En fermant les yeux encore plus fort, elle entend le murmure des branches de l'arbre dans le vent, le ciel bleu, les rires de ses cousins et cousines au loin. Elle peut presque goûter la douceur du miel sur ses lèvres, presque sentir la fraîcheur de l'herbe sous ses pieds.

Mais dans le cortège quelqu'un tousse, et le souvenir s'efface de son esprit, laissant place à la réalité cuisante. Le ciel est gris et des colonnes de fumée s'élèvent, noires, obscurcissant l'horizon. Des figuiers, il ne reste plus que quelques pétales fanées, écrasées sur la chaussée par les débris et les piétinements apeurés des habitants. Autour d'elle, les bâtiments ont les murs criblés d'éclats, les fenêtres béantes laissent voir l'intérieur dévasté des maisons. Sur certaines tables, les restes de repas sont engloutis par des nuées sombres de moucherons. Amal entends son ventre gargouiller, son dernier repas remonte à la veille, c'était une miche de pain qu'une vieille femme lui avait tendue. Elle lui avait fait penser à sa grand-mère, avec sa fossette au menton. Mais la femme avait du sang qui coulait sur la tempe et était coincée sous un gravas. En plus, Teta était partie depuis longtemps lui avait dit sa mère. En Egypte, là où il fait toujours beau.

Amal regarde autour d'elle, cherchant un visage familier parmi les silhouettes désespérées. Des pleurs d'enfants, des cris de douleur et des murmures de prières s'entremêlent dans l'air lourd comme une litanie funèbre. Un chien errant passe en trottinant, ses côtes saillantes, ses yeux vides de tout espoir. Elle voit un vieil homme assis sur une pierre, les mains tremblantes, tenant une photo encadrée contre sa poitrine, ses yeux embués de larmes silencieuses. L'espoir semble comme s'être envolé dans l'air suffocant de ce mois de mai.

Amal marche pour le retrouver. Elle préfère se dire cela, ça éloigne la vérité. Cette vérité qui colle à la palme de ses pieds depuis des mois. Amal fuit. Elle fuit vers le Sud, là où sa mère disait qu'il y avait de la sécurité, là où les échos des bombardements ne seraient plus qu'un souvenir.

Chaque pas est une promesse de paix. Malheureusement, ceux-ci collent de plus en plus et l'empêchent d'avancer. (Peut-être que la Palestine ne veut pas laisser partir sa fille adorée ?)

Au loin, elle aperçoit un camp de réfugiés, ses tentes blanches contrastant avec le paysage dévasté. Un radeau de la méduse fait de bâches et de bidons d'essences. Des enfants jouent avec des objets de fortune, leurs rires brisant brièvement le silence oppressant. Des adultes, aux visages marqués par la fatigue et la tristesse, s'affairent à chercher de la nourriture et de l'eau. Amal sent son cœur se serrer en voyant les gamins jouant au foot avec un vieux ballon crevé, mais elle y voit aussi une lueur d'espoir, une chance de retrouver un semblant de normalité.

Elle rejoint le camp, ses pieds saignent toujours. Une femme s'approche d'elle, son visage ridé par les épreuves, mais ses yeux empreints de compassion. Sans un mot, elle tend à Amal un morceau de tissu propre et une bouteille d'eau. Amal accepte avec gratitude, ses yeux se remplissant de larmes. C'était un petit geste, mais cela représentait tant dans ce monde brisé.

Amal s'assoit sur une carcasse de missile pour nettoyer ses plaies avec l'eau précieuse. La carcasse est en fer, immaculée avec juste un petit drapeau peint dessus. Des banderoles rouges, blanches, bleues, la peinture commence à s'écailler. Le pays de la liberté a transformé la sienne en brasier. Alors qu'elle nettoie ses plaies, Amal ne peut s'empêcher de contempler ce symbole déchu. Autrefois, il représentait l'espoir, la fierté, la promesse d'un avenir meilleur. Mais maintenant, il n'est plus qu'un vestige de souffrance et de destruction. Il incarne la trahison de ceux qui prétendaient défendre la liberté, laissés derrière eux des vies brisées et des rêves perdus.

Les Étoiles Brilleront Toujours.Where stories live. Discover now