8.

41 2 0
                                    

Pardon. Quelles excuses ? La vie. Le travail. La famille. Le temps. Pardon. J'ai mille histoires dans la tête pourtant ; bon, peut-être pas tant, mais une dizaine (du Drarry, de l'omégaverse, de la romance à foison). Et tout s'entrechoque dans ma tête. J'ai encore autant de choses à raconter qu'il y a plus de quinze ans, quand j'ai commencé à écrire, mais je n'en ai plus autant le temps. Je ne vous oublie pas, sachez-le, je reçois toujours vos commentaires avec autant de plaisir et j'en prends tout autant toujours à écrire. J'espère que vous serez toujours au rendez-vous <3


_____________________________________________________________

« Qu'allez-vous faire ?

_ Vérifier votre appartement. Vous poser quelques questions. »

Je hoche la tête en le regardant tourner autour de moi, ouvrant les placards et les portes, fixant mes vêtements alignés par couleurs et les pâtes rangées par temps de cuisson.

« Vous fumez ?

_ Oui. »

Il l'écrit. Il passe sa tête par la porte de ma chambre et y accorde de très longues secondes avant de revenir vers moi, son carnet sous le bras. Pour la troisième fois, j'entends son téléphone sonner depuis la poche avant de son pantalon coupé droit. Il met fin à l'appel sans le regarder.

« Vous avez de la famille ...

_ Non, je le coupe.

_ ... dans le coin ? termine-t-il. »

Il n'attend pas de réponse supplémentaire et complète son dossier.

« Vous vous êtes déjà occupé d'enfants ?

_ les miens, non.

_Ceux des autres ? s'enquiert-il en haussant un sourcil.

_J'ai passé une formation. En Suède. Pour faire des colonies de vacances. »

Son expression se fige, sa lèvre inférieure tremble, avant qu'il ne sourit franchement. Ça lui dessine une fossette dans le creux de la joue.

« Vous en avez fait beaucoup ?

_ J'ai dis que j'avais fait la formation. Pas les colonies. »

Il note l'information. Je note que le sourire perdure.

« Ce n'est pas perdu. Bon ... »

Quatrième appel. Il jette un coup d'œil à sa montre qui lui affiche le correspondant. D'un soupire, il décroche en m'adressant un « désolé » articulé mais muet. Il cherche désespérément un coin où aller s'isoler. Il n'y en a pas. Il se tourne vers la cuisine ; il aurait été sans doute bizarre qu'il ne parte s'enfermer dans ma chambre, et se contente de se tourner vers l'évier. Mais il n'a pas l'air de vouloir être discret finalement.

« Arrête, je ne viendrai pas, je travaille. Je t'avais prévenue. »

Un silence. Un soupire.

« C'est dommage pour lui, mais je n'avais rien demandé, ni rien promis à personne, moi. »

Un silence à nouveau. Un sourire. Mais un sourire mauvais, qui lui donne une expression nouvelle, bien cachée sous l'apparence nette du bureaucrate trop propre.

« C'est ça, je retourne travailler. A tout à l'heure. »

Il raccroche sans plus de cérémonie.

« Pardon. Un appel personnel, je n'aurais pas du. »

Il tente de se recomposer un visage neutre, celui, le fameux, de l'homme de paperasse qui se veut sans personnalité aucune. Mais c'est étrange comme il n'y parvient pas. Il garde, comme un pli au milieu de son visage bien lisse, ce sourire sardonique qui le rend ... Humain. Plaisant.

« J'allais donc vous dire que je ne vois pas d'objection à l'accueil d'Elis ici. Une prime d'accueil vous sera versée, afin de vous équiper en mobilier de puériculture. L'enfant viendra avec ses affaires qui ont pu être prises avec lui.

_ D'accord.

_ Moi, ou des collègues, passeront régulièrement. Vous serez averti au préalable. Vous devrez présenter Elis aux rendez-vous obligatoires avec le pédiatre et faire remplir son carnet de vaccination, il semblerait que Madame Martin ne les ait pas encore faits.

_D'accord.

_ Je sais que tout cela peut être très déstabilisant les premiers temps. C'est une spirale très rapide surtout dans votre cas. Votre quotidien va en être bouleversé. Mais les services de protection de l'enfance seront là pour vous aider. »

J'ai envie de lui dire que je m'en fous bien. Que c'est lui qui m'a mis dans cette situation, et je veux savoir si lui viendra m'aider. Si c'est ça, cet appel personnel, auquel il a répondu qu'il ne viendrait pas.

Il s'installe sur le canapé, faute d'autre place assise, étale différents documents.

Puisque je suis chez moi, et qu'il ne peut rien dire, j'allume une clope en m'appuyant à la fenêtre que j'ouvre en grand. Le son de la télé de la vieille me parvient, plusieurs étages en-dessous. Sa fenêtre aussi est ouverte. Elle surveille.

« Je dois vous faire vérifier plusieurs documents. Je vous laisse les lire. Et les signer. »

Je hoche la tête, lentement. Je l'observe. Il est chez moi, en terrain inconnu. Sur mon territoire, où je lui permets pourtant d'observer mes faiblesses, mes manies et ma solitude silencieuse. Alors, je l'observe pour égaliser la balance. Pour trouver une faille dans la carapace qu'il n'arrive pas à refermer parfaitement ce soir.

Je vois une mèche de cheveux d'un blond mielleux, qui boucle juste derrière son oreille et qui chatouille celle-ci. Trois fois qu'il tente de la lisser mais qu'elle résiste. Je peux vois comme ça l'énerve. Son stylo a du mal à écrire, et ça aussi, ça l'énerve. Le chef scout n'aime pas quand tout ne va pas.

Lui aussi m'observe. Pourquoi ne le ferait-il pas ? En a-t-il le droit ? De me regarder comme ça. Il regarde ma clope et sa fumée qui s'enroule autour de mon avant-bras. Sans un mot, je lui désigne le paquet sur la table basse à côté de lui d'un mouvement de tête. Qu'il se serve s'il le souhaite. Ça ne fait qu'une vingtaine de minutes qu'il est là, et l'ambiance est différente. Il n'a plus l'air « pressé ».

Il n'a plus l'air de M. Dossard. Il n'a plus d' « air ».

Il ne m'observe pas. Non. Il me fixe. Intensément. Deuxième fois depuis qu'il a mis les pieds chez moi qu'il sombre en moi comme je semble perdre pied aussi dans son regard. La fois de trop.

Il tire sur le col de son pull. Comme s'il l'empêchait soudain de respirer. Je pourrais le lui retirer. Il repousse cette mèche rebelle. Je pourrais la saisir avec quelques autres entre mes doigts. Il fait craquer ses doigts. Je pourrais en faire bon usage.

Peut-être est-ce une forme de désespoir profond. La solitude trop longuement avalée en me persuadant qu'il s'agissait d'un doux élixir. Peut-être est-ce cet instant décousu. Irréel. Hors du temps. Comme si cet instant, quoi qu'il puisse arriver, cela resterait ici. Un secret bien gardé.

Peut-être est-ce simplement lui. Il m'énerve tant qu'il m'attire. Que je voudrais laisser rugir mes pulsions en moi, et faire de mon canapé le témoin de mes ardeurs étouffées.

Son regard... Il me hurle le même désespoir. Les mêmes envies de s'exprimer au travers de mon corps Le même besoin, féroce, l'envie de l'autre, dévorante.

Alors je me détourne. J'écrase ma clope. Je viens signer les papiers sans le regarder. C'en serait dangereux. Il se lève pour partir, son dossier sous le bras. Il frissonne en passant devant la fenêtre ouverte. Il n'a pas de manteau. Je lui propose ma veste. Fou que je suis.

« Non merci, Jonas. »

Il tique de sa propre audace. Comme si, malgré le « rien », car rien ne s'est passé, il ne pouvait faire comme si vraiment, « rien » n'était arrivé.

Il s'engage dans la cage d'escaliers. Soupire. De frustration. Peut-être de soulagement. De fatigue, sûrement.

« A bientôt, M. Hansson. »

Elis   [MxM]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant