21. Un bois de peuplier

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Une nouvelle routine s'était installée pour Roderick. Il suivait toujours les leçons de magie chez les Murdoch, mais ne restait plus jouer avec les petits-enfants ensuite. Cela le soulageait intensément, car non seulement il ne s'était jamais entendu avec Licinius et Lucas, mais de plus, il se montrait bien meilleur sorcier qu'eux et l'animosité des deux cousins n'était plus cachée. Quant à Sienna ... Eh bien, c'était difficile de se prononcer.

Un jour de la fin du mois de novembre, alors qu'Enid était venue le chercher, Roderick eut la surprise de voir Miss Murdoch aller à la rencontre de sa mère. Au manoir, Enid était une ombre, une aidante, bien souvent qualifiée de femme de ménage par Licinius et Lucas. Personne ne lui prêtait attention et Miss Murdoch, qui avait tant d'égards pour Roderick, ne tournait jamais les yeux vers elle.

D'ailleurs, Enid mit un moment à comprendre que c'était vers elle que la jeune femme se dirigeait.

« Miss, s'étrangla-t-elle. Que puis-je pour vous ?

-Mrs Ashford, je voulais vous parler de votre fils.

-Roderick ? s'écria Enid, brusquement paniquée à l'idée que son fils eût perdu la précieuse estime de la famille Murdoch. Pourquoi, qu'est-ce qu'il a fait ? Ah ça, Miss, s'il vous a déplu, croyez bien que je vais le corriger ! »

Thelma haussa un sourcil, calme et élégante, devant les cris d'Enid. Roderick baissa les yeux au sol. Quand elle quittait son uniforme d'aide-soignante, Enid détonnait dans le décor aristocratique du manoir Murdoch. Roderick aurait largement préféré qu'elle l'attendît dans le parc, plutôt que dans l'entrée.

« Il n'a rien fait, précisa Thelma. Je voulais simplement vous dire que j'avais un projet pour lui, ce vendredi à onze heures. Amenez-le ici un quart d'heure avant. »

Pas de question, pas de s'il vous plaît, juste une information lancée sur un ton assertif. C'était le ton de l'aristocrate qui s'adressait à quelqu'un de rang inférieur. D'ailleurs, Enid ne s'y trompa pas et baissa humblement la tête.

« Vendredi, onze heures moins le quart, répéta-t-elle. Il sera là, Miss Murdoch.

-Fort bien. »

Elle salua Roderick d'un hochement de tête et s'en fut sans même un au revoir pour sa mère. Roderick se sentit à la fois furieux et mort de honte. Il se dégagea sèchement lorsqu'elle voulut lui prendre la main, et Enid dut l'attraper d'autorité par le bras. Roderick sentit ses doigts osseux s'enfoncer dans sa chair et le serrer fort, comme les serres d'un rapace. Il lança un regard agacé aux plantes carnivores qui gardaient la maison : jusqu'au bout, il y aurait quelqu'un – ou quelque chose – pour contempler son humiliation.

Ils transplanèrent jusque chez eux, dans la rue, devant des Moldus à l'air effaré : depuis que le Ministère de la Magie avait changé de voie, Enid violait le Code du secret magique avec un plaisir évident. Roderick mourait d'envie de filer dans sa chambre et de ne surtout pas parler, mais sa mère était d'humeur joyeuse.

« Alors comme ça, elle veut te voir en plus des leçons de magie, Miss Murdoch ? lança-t-elle avec enthousiasme tandis qu'elle ouvrait le portail à la fois enchanté et croulant de leur immeuble.

-Mmmh, fit seulement Roderick.

-C'est bien, Roderick, tu suis un bon chemin. Fais bien tout ce qu'elle te dit, d'accord ? Surtout ne la contredis jamais et donne le meilleur de toi-même. Si tu continues comme ça, tu pourras être premier de ta classe à Poudlard ! Avoir des prix, aussi ! »

Dans le hall, ils croisèrent la vieille sorcière qui habitait au rez-de-chaussée. Elle était en train de balayer son appartement avec un balai noir de crasse, et repoussait la saleté dans le hall de l'immeuble. Roderick pria pour que sa mère, tout à sa joie de voir son fils dans les bonnes grâces de Thelma Murdoch, ne fît pas de commentaires, mais c'était mal la connaître.

La guerre aux yeux gelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant