Alya

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— Je peux t'aider ?

Mon moi altruiste a parlé sans même en référer à mon moi introverti, voire timide, à ce garçon qui semblait en difficulté devant son tas de feuilles — oui, je dois être aliénée. Et ce fichu tutoiement qui est sorti tout seul, juste parce qu'il semble être dans la même tranche d'âge que moi, qu'est-ce que je ne donnerais pas pour le ravaler maintenant, il est tellement familier avec cet inconnu...

Bref, quand il lève la tête, avec un sourire reconnaissant, je me recroqueville un peu sur moi, apeurée à l'idée de perdre mes moyens et ne plus réussir à parler. Mais il ne me laisse pas le temps de fuir, et me répond directement.

— Avec plaisir ! Je dois t'avouer que j'ai bien envie de brûler tout ça.

Et lui qui me tutoie aussi, ça ne m'aide pas...

— Comment puis-je t'aider ?

En parlant, je m'assois en face de lui, autour d'un petit feu, au centre du camp.
Il me montre les papiers et dit naturellement, comme si j'avais fait ça toute ma vie :

— Est-ce que tu pourrais me donner la réplique ?

Je cligne fixement des yeux, cherchant mes mots.

— Attends, tu es... un acteur ?

Il rit pendant que je continue.

— Je suis désolée, je ne pense pas pouvoir faire ça... Vraiment, ce n'est pas mon boulot... Désolée de t'avoir dérangé...

Je rougis, maudissant mes joues qui se pigmentent bien trop facilement à mon goût.
Il interrompt mes pensées noires — ou plutôt rouges — pour me rassurer.

— C'est juste de la lecture, y'a pas de quoi s'inquiéter.

Il en profite pour donner la scène, nommé « Acte I, scène 1 », et je le prend, encore hésitante.

— Et tu ne peux pas me déranger, tu voulais aider, et je te remercie pour ça. Peu nombreuses sont les personnes de nos jours qui sont aussi altruistes.

Pourquoi il est aussi gentil ? Ça en devient presque gênant... En même temps, j'ai beaucoup de mal à accepter les compliments, c'est à la fois agréable, et gênant, car c'est difficile pour moi de les accepter...
Je préfère donc éviter de répondre, comme s'il n'avait rien dit, et lui demande quelle partie je dois jouer.

— Tu joues Brooke. C'est Alice qui la joue, mais je suppose qu'elle a voulu se reposer avant d'arriver.
— Ok, je vois.

Il commence à jouer, et je bascule dans un autre monde.

Donc tu pars de la fête pour des arbres ?
— Si ça me plaît, ce ne sont aucunement tes affaires. Et ils sont plus intéressants que toi et ta fête stupide.
— Pourquoi t'es aussi mauvaise avec moi ?
— Tu sais pourquoi. Ne me demande pas, demande toi plutôt comment me foutre la paix.
— Je pensais que c'était de l'histoire ancienne...
— Comment aurais-je pu oublier ?

Je finis cette phrase dans un murmure, comme si je la disais pour moi-même.
Il arrête le jeu et me sourit, un sourire franc et pétillant, comme ses yeux à ce moment-là

— Tu es douée, mes répliques coulent avec toi comme si c'était facile.
— Oh. Merci, je suppose.

Il pouffe doucement pendant que je rougis — Encore !

— Si c'est si facile, ça devrait être bon pour demain. Ça te dit de discuter un peu ?
— Donne-moi deux minutes.

Je souris, me lève et cours en direction de ma tente.

Le camping réservé par la production est silencieux ce soir, mais je sais que le lendemain il débordera de gens : caméramans, scénaristes, figurants, acteurs, et autres assistants.
J'ai décidé d'arriver en avance, pour avoir le temps de m'installer, et de commencer à me repérer dans ce dédale que je connaîtrai comme ma poche dans quelques jours, à force de courir partout.

Je prends un sachet dans mon sac et retourne près du feu de camp.

— Je suis là ! chantonnai-je gaiement.
— Comment tu peux te repérer en simplement quelques heures dans ce labyrinthe ?

Il remarque le paquet dans mes mains et son sourire devient encore plus grand.

— Des marshmallows ! C'est une super idée !
— Je ne peux pas rester près d'un feu de camp sans.

Il s'esclaffe et me demande :

— On ne s'est même pas présentés, comment tu t'appelles ?

Sa façon de le demander, presque enfantine, me fait sourire.

— Alya. Et toi ?
— Logan. Du coup, qu'est-ce que tu fais ici, à part aider tout le monde ?
— Eh bien, pas grand chose.

Je glousse devant son air légèrement interloqué, si drôle, et lui explique :

— Je suis une assistante, c'est mon boulot d'aider tout le monde. En gros, je cours partout pour apporter les accessoires, les effets spéciaux, ce genre de choses. Je suppose que tu as un travail plus... prestigieux ici ?
— On peut dire ça.
— Tu vas rester aussi mystérieux ?
— Ça pourrait être drôle.

Il a un sourire mutin, qui me fait dire que ça l'amuse beaucoup.

Nous papotons pendant encore un long moment de nos anecdotes, de nos vies respectives, même si je lui laisse le plus souvent la parole. C'est simple de parler avec lui, comme si je n'avais pas de problème à parler à un étranger. Et, sans même que nous ne nous en rendions compte, la lune était haute dans le ciel. Quand je le remarque enfin, je regarde ma montre et sursaute. 1h56 ?! Je marmonne.

— Bon sang, il est déjà tard...
— Tu pars ?
— Je travaille demain, ou peut-être devrais-je dire aujourd'hui, mister Mystérieux.
— Je pourrais dire pareil de toi. Je ne sais pas tant de choses à propos de toi.

Nous rions ensemble pendant que je me lève.

— Bonne nuit Logan.

Il sourit, puis me répond dans un murmure :

— Bonne nuit Alya.

∞Où les histoires vivent. Découvrez maintenant