Alya

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Je vois Logan me sourire de toutes ses dents, mais je suis trop détachée de tout ça pour lui rendre sa risette enfantine. Je repense à tous ces moments où, petite fille, je rêvais de devenir grande pour incarner qui je voulais.

J'avais toujours rêvé de devenir quelqu'un d'autre le temps de quelques scènes, c'est pourquoi j'aurais adoré faire du théâtre.

Ce rôle est pour moi inespéré. C'est une occasion de découvrir qui je peux être sans le rempart de ma timidité, mais en me protégeant, ou plutôt en me cachant derrière un rôle. Et peut-être que dans ce rôle je trouverai la partie de moi qui n'est pas introvertie, mais solaire. Celle qui fait rire les autres, celle dont on apprécie la compagnie. Comme ma mère.
Mon père l'appelait son rayon de soleil.

Et, sur les photos que j'ai trouvées d'elle, elle brille. Elle avait cet éclat de vie dans le regard.

Je sais quel rôle je peux jouer, quel masque je peux porter. Et alors que je fais un immense sourire à mon ami, je sens une part de moi qui va se cacher dans un recoin de mon âme. Cette fragilité qu'est ma timidité, je la masquerai toujours derrière un grand sourire.

*✷*

Les jours passent, et je ressens ma transformation. Au revoir l'Alya timide et jamais sûre d'elle, et bienvenue l'Alya confiante, même si ce n'est qu'une façade. Je sais qu'à l'intérieur, je doute toujours aussi souvent, mais je décide de refouler mes pensées noires et mon syndrome de l'imposteur qui me souffle que je n'ai rien à faire dans ce rôle, qu'il appartenait à une autre et que je ne le mérite pas. Je l'ignore, et même s'il continue à me blesser en me soufflant continuellement que je ne suis pas à ma place, je n'en montre rien et apprécie tous ces moments où je disparais au profit d'une autre, vraiment sûre d'elle, intelligente et forte.

Ivy m'a remis le jour même le scénario, et je passe mon temps libre à l'apprendre, pour que ce soit déjà fait avant les tournages. J'en découvre un peu plus sur l'histoire, un thriller commençant avec une fête qui dégénère en boucherie, où tous les jeunes présents sont sauvagement assassinés. Les deux protagonistes, que Logan et moi incarnons, sont les seuls rescapés de l'horreur, et ne peuvent que se suspecter l'un-l'autre, puisque personne d'autre n'était présent. Chacun décide de mener son enquête, et les héros sont amenés à se croiser au fil des indices, et s'espionnent même entre eux. Le tout est édulcoré par une petite histoire d'amour malgré la tension entre les personnages.

C'est cette partie-là qui me perturbe le plus. Je vais devoir jouer ce que je n'ai jamais vécu, car même si je n'ai jamais vécu un massacre, j'ai déjà vécu la peur. Même si je n'ai jamais vécu la haine, j'ai déjà vécu la colère.
Mais même si je vais le jouer, je n'ai jamais vécu l'amour.

Je décide d'oublier mes tracas pour me préparer, car aujourd'hui c'est le premier jour de tournage. J'enfile un simple haut blanc assez large et un short en jean, car je n'ai pas la moindre idée de ce que je devrais porter. Devrais-je être plus classe, ou peu importe ? De toute manière c'est à ça que ressemble l'ensemble de mes vêtements, car je n'avais pas prévu de faire autre chose que mon travail d'assistante.

Je repense à la semaine écoulée. La réalisatrice a eu du pain sur la planche, elle a dû, entre autres, gérer le retour des figurants pour retourner les scènes, c'est pourquoi nous ne reprenons qu'aujourd'hui.

Je stresse, et ça doit être visible, parce que lorsque je sors, Logan ne manque pas de me répéter que tout se passera bien.
Selon lui, j'y arriverai sans problème si je ne me prends pas trop la tête. Il est drôle ! Je n'ai aucune expérience et j'ai accepté de faire un travail pareil.

Il arrive à me changer les idées en me faisant rire avec ses différentes anecdotes sur le chemin, et je lui suis reconnaissante à l'intérieur de moi, car je sais qu'il le fait pour me distraire.

Au bout de quelques minutes, nous arrivons au centre de l'agitation. Ici, chacun travaille dans son coin, connaît son rôle. C'est comme une fourmilière à taille humaine, sauf que les fourmis peuvent changer de rôle. J'en suis la preuve, mais peut-être pas pour longtemps.

— Je connais ce regard, entendé-je à ma gauche.
— Quel regard ? dis-je en fronçant les sourcils.
— Tu n'es pas confiante en tes capacités. Ça se voit, tes yeux autour de toi comme si tu étais perdue, tu baisses les yeux et tu prends une faible inspiration en regardant au loin.

Je relâche l'air dont j'ai en effet rempli mes poumons et tente un sourire.

— Ça va, je crois. J'avais juste un petit coup de mou.

Son regard me prouve qu'il n'est pas dupe, mais il n'insiste pas. Même si on se connaît depuis peu, il a bien compris mon mode de fonctionnement, et sait que je n'aime pas trop m'étendre sur mes problèmes, même avec lui.

Mrs Wright — je n'arrive plus à l'appeler autrement, elle me paraît soudainement extrêmement intimidante — contourne le groupe de figurants pour venir vers nous, un sourire scotché aux lèvres. Je remarque quand même sa lassitude lorsqu'elle s'approche. Ces derniers jours ont dû être éprouvants pour elle.

— Alors ma chérie, tout va bien ? Pas trop stressée ?
— Ça va, merci.
— Et moi alors ? nous coupe Logan, faussement outré.
— Toi, tu as dépassé la date limite de consommation. Tu n'es plus mon chouchou, rit-elle, et on se joint à elle.

Cette femme est phénoménale. Malgré toute la pression qui pèse sur ses épaules, elle trouve encore le moyen de me réconforter.

Elle me dirige gentiment vers les vestiaires, où une robe de soirée noire pailletée m'attend. Après le vestiaire se trouve une sorte de loge où deux femmes adorables tentent de me faire parler et échangent des ragots tout en finissant de me préparer. Après un brushing et un maquillage, le plus léger possible, sous leurs mains expertes, je reparais.

Je croise d'abord le regard de mon ami, qui semble surpris, puis je recherche celui d'Ivy pour avoir son avis. A voir son sourire, j'ai réussi cette étape, même si elle est minime et qu'elle n'était pas vraiment de mon fait.

Je me dirige ensuite d'un pas que j'essaie de rendre affirmé vers l'épicentre de l'action pour retrouver Logan, qui a disparu.

— Miss Moore ? j'entends derrière moi.
— Mister Carter ? lui répondé-je lorsque je l'identifie.
— Suivez-moi, je vous en prie, continue-t-il d'un air guindé.
—Si vous me priez, lui dis-je sur le même ton.

Il rit et m'entraîne avec lui vers le plateau de tournage.

*✷*

J'avais raison. Ça a été un vrai carnage. Bon, ok, selon Logan, j'exagère. N'empêche qu'au début j'ai perdu mes moyens devant une cinquantaine de personnes, manqué de pleurer et me suis forcée à continuer. Comme quoi, la peur du regard des autres, ça aide aussi à jouer un rôle.

Je suis épuisée après tant d'émotions, et ce soir, c'est même moi qui ai déjà demandé à Logan d'écourter nos discussions — ou plutôt notre guerre verbale pour savoir lequel de nous s'est le plus ridiculisé — pour que j'aille dormir.

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 30 ⏰

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