Amour sans concession n°1

Après une nuit d'amour

La nuit, le jour découvrant l'existence profondément endormi, je t'ai regardé étrangement mélancolique. Je suis resté immobile un bon moment afin de m'imprégner des flux de vitalité environnants. Pour apprendre à mieux te connaître j'ai recherché des odeurs passées inaperçues. J'ai fait le tour de la maison pour comprendre ce que tu me dissimulais. Plusieurs détails m'ont sauté aux yeux me révélant une infime partie de ta personnalité cachée. J'étais profondément touché. Une étrange proximité faite de douceur et d'empathie. Pendant près d'une heure j'ai pensé à toi, c'était merveilleux. Enfin, j'avais ôté mes chaussures à semelles de plomb qui me maintenaient loin de la surface. J'avais la tête hors de l'eau. La vie était belle.

*

Il n'existe plus de doutes quand se produit la métamorphose. Doucement, mon corps s'épaississait, je reprenais de la consistance. Fantômatique, transparent, terne n'étaient plus des adjectifs qui me caractérisaient. Une majorité de personnes pensent que le processus amoureux ne se produit qu'une seule fois dans une vie. Faux. Archi faux. Pour moi, c'était la deuxième. Mais d'une tout autre manière cette fois ci. Je n'étais plus ce cheval fougueux sans cesse au galop. Je contrôlais beaucoup mieux la force de mes émotions.
Loin d'elle mon corps diffusait un flot d'amour en continu. Fort agréable. Un petit peu à la manière dont nous réchauffe un radiateur à bain d'huile lors des premiers froids de novembre. Une sensation de plénitude m'enrobait dans toutes mes activités quotidiennes. Je percevais mon environnement avec beaucoup moins d'empathie ce qui lui ôtait son caractère trop intrusif. Les évènements coulaient sur moi comme l'eau s'écoule dans le lit d'une rivière. J'étais insubmersible, j'étais moi, j'étais le roi.
Bon à dire vrai, j'en rajoute un peu, mais pas tant que ça ! Quand on croit comprendre les mécanismes de l'amour, l'illusion fonctionne. J'étais dans le mouvement. Je regardais autour de moi, tout le monde était beau, tout le monde était gentil. Peu importe les aléas, j'étais toujours du bon côté du manche. La lumière était bonne, le son était bon. Bizarrement, le souvenir le plus concret qui me reste de cette période, ne réside pas dans une image mais dans un sentiment. La satisfaction d'avoir vécu mon existence au maximum. Une assise sereine face aux théoriciens de l'action. Un vrai bouclier contre les pratiques des sociétés sociales contemporaines consistant à fracasser les personnalités afin d'entamer un processus de reconstruction. Personnellement, je ne redoute plus le temps qui passe. Les choses arrivent comme elles arrivent fuck !

Un matin, alors que nous déjeunions en famille, j'ai demandé à ma mère comment elle me considèrait. Elle m'a répondu en soulignant sa réponse d'un mouvement de tête :

" Comme ça "

Surpris, je n'ai pas compris :

" Comme quoi ? "

Sa réponse cinglante n'a pas tardé :

" Comme une plante en pot "

Après réflexion, j'ai pensé qu'elle avait raison. Dès notre plus jeune âge nous sommes calibrés pour correspondre à une classe sociale, pour occuper une place précise dans notre environnement.

*

Quand je repense à qui j'étais avant de rencontrer elle, je me vois comme un animal perdu dans un monde qu'il croyait comprendre. J'étais trop souvent en décalage comme un spectateur passif. Je n'étais pas du tout responsable des évènements significatifs balisant ma vie. La société nous façonne, la famille aussi ! Nous sommes pris dans un flux qui ne nous permet pas de nous mettre à distance. Dès lors les énormités s'accumulent, quand tout s'écroule il est trop tard.

Mais mon indignation ne prend pas totalement racine dans mes expériences vécues. Elle est légitimé aussi par mes lectures. Il existe des philosophes, des sociologues qui décrivent très précisément la mécanique des déterminismes sociaux et leur mode de reproduction. Sans ces influences, je n'aurai jamais eu la disponibilité d'esprit nécessaire pour rencontrer elle.