Le coeur de Téotl - Romance Interactive -

Chapitre 1 - Kiera -

 — Maman, appellé-je du bas des marches.

— Oui, ça va ! s'exclame-t-elle.

— Mon avion !

Je l'entends soupirer et je suis certaine qu'elle lève les yeux au ciel. Je patiente au rez-de-chaussée, ma valise est prête, ainsi que mon sac de voyage. Je n'ai pris que le strict nécessaire, mais cela peut vite être insuffisant. Comme d'habitude, je ferai avec les moyens du bord.

— Nelli va m'attendre, tu sais que je ne supporte pas d'être en retard ! m'énervé-je.

Elle finit par descendre, son chignon bien serré sur le dessus de sa tête et ses lunettes bien en place. Ma mère vieillit bien, elle est toujours bien conservée pour son âge, elle approche les soixante ans. Ses yeux sont toujours aussi alertes, ce qui révèle la fougue qu'a toujours son esprit.

— Nelli tient sa patience de Itiota, donc tu sais parfaitement qu'il ne va même pas s'apercevoir de ton retard. Cesse donc de te presser. Souviens-toi ! Une exploratrice sait quand elle doit temporiser afin de...

— Garder l'esprit clair, finis-je pour elle.

Elle hoche la tête avant de me tendre un objet dans un tissu. Je l'ouvre avec douceur pour découvrir son piolet. Je la scrute éberluée. Je suis en train de rêver ce n'est pas possible, elle n'est tout de même pas en train de faire ça ? Le sourire qui se dessine sur ses lèvres m'indique que si.

— Il est temps Kiera. C'est à toi de vivre de nouvelles aventures !

— Mais...

— Il m'a suivi pendant mes trois dernières expéditions et je te le transmets. Ton père t'a légué son journal des langues anciennes et bien moi c'est mon piolet. Garde-le près de toi, il m'a sauvé la vie plus d'une fois.

Elle me lance un clin d'œil et je souris encore plus. L'histoire est assez comique. Mon père et elle ne s'entendaient pas, ils se haïssaient même. Ils sont partis dans l'arctique en exploration pour découvrir les traces d'une civilisation ancienne. Et ils se sont retrouvés bloqués dans la glace. C'est cet outil qu'avait ma mère qui les a aidé à se libérer. Ils ont cru mourir sur ce glacier alors ils se sont balancés tout ce qu'ils pensaient l'un de l'autre. Ils ne m'ont jamais caché les choses, c'est ce que j'ai toujours aimé avec ma famille. Les secrets ne sont pas monnaie courante. Je sais donc de source sûre que lorsqu'ils ont réussi à se sortir de là, après une douche chaude dans un abri, ils ont fait l'amour. Moins d'un an plus tard, ils étaient mariés et je suis venue au monde trois ans après cela. J'ai été choyée, j'ai eu une belle vie. Mes parents sont des sommités dans leur domaine, ma mère est connue pour être l'une de celle qui a révélé l'existence inconnue de tout un peuple qui vit toujours en autarcie et mon père était ce que j'appelais un seigneur des langues. Il pouvait converser dans une trentaine de langues qui n'existent plus aujourd'hui.

Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin. Mon père nous a quittés il y a deux ans d'un cancer de la prostate. Il se battait depuis un an contre ce dernier, je l'ai vu batailler comme un guerrier, mais cela n'a pas suffit. Oui, nous avons pleuré avec ma mère, puis nous avons fait ce qu'il aurait tant aimé, nous avons pris nos valises et nous sommes parties festoyer sa vie à Caracas.

Je sais, étrange me direz-vous...

À vrai dire, c'est ce qu'il souhaitait que nous entreprenions. Alors nous avons retrouvé tous ses amis au Venezuela et nous avons chanté, ri et parlé de lui. Nous l'avons veillé pendant quatre jours comme le veut le rituel, puis nous l'avons enterré. Selon les croyances ancestrales, nous mourons deux fois : une première fois physiquement (la mort du corps), une seconde fois spirituellement (la mort de l'âme). Dans la pratique, cette double mort est exprimée matériellement par la réalisation d'un rituel funéraire en deux temps et en deux espaces différents. Nous enterrons le mort une première fois et dans dix ans, des Guajiros le détéreront pour le ré-ensevelir dans un cimetière familial. André, le meilleur ami de mon père, y vit depuis des années et a déjà prévu l'emplacement pour ce dernier. Nous y retournerons et nous célébrerons de nouveau sa vie, afin que cette fois il y repose pour l'éternité.

Je n'ai donc aucun mauvais souvenir lié à sa mort, il est dans mon cœur. Et s'il y a un au-delà, alors je l'y retrouverai et j'espère lui conter l'histoire de ma vie.

L'objet est fiché dans ma main, il est parfaitement adapté à cette dernière. Mon regard se porte de nouveau sur ma mère et une vive émotion me traverse. Je sais qu'elle est fière de moi, elle me le dit assez souvent, mais là, ce simple geste veut dire qu'elle me soutiendra dans tous les choix que j'entreprendrai et ça c'est une preuve d'amour incroyable.

Je ré-enveloppe l'objet avant de la serrer dans mes bras, je fais bien entendu attention à ne pas la blesser avec.

— Merci, maman, soufflé-je avec émotion.

— Je t'aime ma petite cannelle. File et n'oublie pas de me donner des nouvelles. As-tu bien ton téléphone satellitaire ?

Je le sors de l'arrière de ma poche pour le lui montrer et ainsi la rassurer. Ma mère me fait un petit sourire. Je l'embrasse et la câline une dernière fois avant de sortir de notre demeure familiale.

Nous sommes revenus aux États-Unis il y a six ans, alors je ne suis pas certaine de pouvoir dire que c'est chez moi. En tout cas, mes parents se plaisaient ici, alors il est logique de la nommer comme étant ma maison.

Néanmoins, je ne ressens aucun vide à la quitter. J'en suis même loin. Mon excitation crève le plafond, je n'ai qu'une hâte: être dans le jet afin de retrouver mon meilleur ami et mon frère de cœur Nelli.

Le personnel familial s'occupe de me conduire à l'aéroport où m'attend mon avion privé. Mes parents ont fait de bons investissements, la fortune qu'ils ont amassée est colossale. Je ne sais pas exactement tout ce qu'il y a, mais ma mère s'occupe de tout gérer.

Moins d'une heure plus tard, je suis installée et prête pour le décollage. Tout est en place, normalement Nelli et ses frères m'escorteront comme à leur habitude. Ils sont assez protecteurs tous les quatre, alors je sais que je ne risque rien.

Lorsque la propulsion me cloue à mon siège, je sais que l'aventure commence...