Acte I - Scène 6

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« Je dois y goûter. »

Le visage de la blonde se déforma de terreur. Elle se releva d'un bond vif et s'enfuit à toutes jambes en direction de la forêt. Le démon se jeta à sa poursuite. Le vacarme de ses foulées provoquait des ondes sismiques qui faisaient trembler la terre autant que sa peau flasque. Sans le quitter des yeux, je raclai ma hanche comme une acharnée, soulevée au cœur, affolée à l'idée qu'il dévore sa victime sous mes yeux. Son épaisse langue s'extirpa de sa gueule, s'étira vers le ciel avant de piquer net sur le crâne de la jeune femme. Une claque colossale. Un coup de massue. Elle s'effondra au sol, se redressa sur les mains, se releva sur un genou, le visage grimaçant, retomba comme une ivrogne. Lui ouvrait sa gueule démesurée. Et je sentis.... je sentis la magie regagner mon corps. J'extirpai aussitôt plusieurs littres d'eau de la rivière et hurlai à l'attention du monstre :

« Deux-vestes !! »

Je projetai sur son flanc, et de toute ma puissance, un jet en coup de bélier. Il recula d'un pas à peine, vaguement déséquilibré. Je déployai mes ombres, usai d'un filet d'eau vif et tranchant pour sectionner mes liens. Enfin libérée et plongée au cœur des ombres, je m'élançai vers la blonde. Je percevais mon environnement comme un sonar au cœur des ténèbres, visualisai mentalement la jeune femme ahurie qui fuyait à quatre pattes, le monstre qui se précipitait sur elle, lui aussi, sans la voir, guidé par l'odorat peut-être. Il l'atteindrait avant moi à ce train-là. Alors je priai de toutes mes forces, il fallait que la technique de Zed fonctionne ! 

Une fois, juste cette fois !

Je me transposai en avant, j'atterris à un pouce de la blonde, saisis sa main tandis qu'un gouffre dentelé de crocs acérés s'abattait sur nous. La mâchoire nous engloutit un instant. Je nous transposai, plusieurs mètres plus loin. La blonde émergea dans un sursaut. Je la saisis aussitôt par le bras et manquai de perdre l'équilibre en la redressant de force. La perte de mon bras avait changé mon centre de gravité.

« Cours, cours, cours ! lui hurlai-je. »

Je lui empoignai la main et m'élançai en avant. Elle galopa, comme moi, comme un gibier dont l'esprit se purge pour ne laisser place qu'à cette pulsion animale instinctive et irrésistible : fuir. Précipitée par la menace d'une mort imminente, l'angoisse soumettait à nos foulées une impulsion effrénée. C'était le sprint. Le sprint pour la survie. À fond de train, sans se retourner.

Le paysage défila jusqu'à ce que nous perdions haleine. Lorsque nous atteignîmes enfin la côte, nous ralentîmes. La pression redescendit et le moignon ficelé sous mon épaule m'arracha une grimace de douleur.

« Il voulait nous bouffer... sanglota la blonde en titubant.

— Ouais... mais je crois qu'il a abandonné l'idée de nous rattraper... »

Mon regard balaya l'horizon : sur l'autre rive, à plusieurs dizaines de kilomètres, il me semblait percevoir les quais du port se dessiner derrière une brume grisâtre. De ce côté-ci, en contrebas, la petite butte sur laquelle nous nous tenions se prolongeait d'un minuscule embarcadère où trois braquets s'agitaient par le ressac.

« On descend...

— Pourquoi ? paniqua la blonde.

— On prend une barque et on rejoint l'autre rive.

— On ne peut pas se permettre de la voler... Et si... si...

— Si tu as une meilleure option, fais-moi signe. Moi j'y vais ! »

Tant bien que mal, nous descendîmes — nous glissâmes plutôt, de la petite dune rocheuse pour rejoindre l'étroit port d'attache. La blonde s'apprêtait à enjamber le premier braquet tandis que je détachais la corde d'amarrage lorsqu'un beuglement furieux nous alerta. Le propriétaire de la barque, sans doute. La blonde se retourna, le visage blême. Je la saisis par le bras et la projetai dans le bateau. Elle s'y écroula sur les genoux. Alors que je me hâtais de dénouer la corde, j'aperçus un homme accourir. Il galopait comme un taureau déchaîné, fusil au poing, hurlant à pleins poumons. Proche. Trop proche. Il braqua un fusil dans notre direction. Je déployai mes ombres et bondis dans la barque :

La Symphonie des Âmes Errantes [ League of Legends fanfiction ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant