Chapitre 3

11 1 0
                                    

        Je marche à pas feutrés entre les arbres de la forêt, dont le chant des feuillages baignés de soleil s'accompagne d'une brise chaude et légère. Non, je n'avance pas, je cours. Ou plutôt je vole dans ce léger vent d'été qui me transporte à travers bois. Mes pieds, dénudés de leurs sabots que j'ai rangés dans ma sacoche en peau de lapin, foulent à peine le sol d'herbe et de terre, d'une manière si delicate qu'ils ne produisent aucun bruit. L'humidité du sol atténue leur impact. En fait, je danse. Mais c'est une danse macabre, assassine, dangereuse pour toutes les proies qui habitent ces lieux tout comme nous, et que je traque.

        J'essaye d'être la plus discrète possible, pour ne pas effrayer le gibier. La moindre proie empalée par l'une de mes flèches est bonne à prendre pour les trente-deux bouches que nous avons à nourrir. Mon magnifique arc en bois, d'une légère teinte rouge, est maintenu fermement dans ma main gauche, prêt à être brandi au moindre mouvement animal. C'est mon père qui l'a taillé, lui-même, dans une branche de noyer robuste mais suffisamment souple pour l'usage que j'en fais. D'ailleurs, mon père n'est pas très loin de moi, car le règlement du village est clair : avant dix-huit ans, on ne peut pas s'enfoncer dans la forêt sans être accompagné d'un adulte. Manque de chance, je ne les aurai que dans plusieurs mois.

        J'avance prudemment mais vivement, prenant soin de ne pas faire bruisser ma tunique végétale, resserrée à la taille par une ceinture de lierre pour plus de praticité et de liberté de mouvements. À cette ceinture pendent également deux grives que j'ai prélevées sur nos pièges, que j'ai au passage réinstallés. Mes camarades attachent leurs cheveux, même s'ils sont beaucoup plus courts que les miens, pour ne pas qu'ils les gênent pour la chasse. Mais pas moi. J'aime bien les sentir valser autour de moi, attrapant de manière lumineuse le moindre rayon. Ce n'est pas très pratique, ni discret, mais je m'en fiche, je ne supporterais pas de les sentir attachés, emprisonnés. De toute façon, la plupart des animaux que nous traquons n'utilisent pas la vue comme sens principal, et ce sont mes mouvements à la fois vifs et calmes et mon silence qui me rendent invisible, ou le moins repérable possible en tout cas.

        Les arbres continuent de fredonner autour de moi, en rythme avec la symphonie des cigales et la mélodie des pic verts, des merles noirs et des geais des chênes. À part cette belle harmonie, qui prélude souvent mes parties de chasse, aucun bruit ne résonne entre les chênes et les hêtres, espèces principales qui peuplent nos forêts. J'ai vu quelque chose bouger au loin, dans une petite clairière éclairée de rayons qui s'ouvre entre les troncs. Tout de suite, mon instinct de chasseuse prend le dessus. Je me mets à courir encore plus vite sans pour autant produire le moindre bruit. Le vol silencieux que je mène est d'autant plus réaliste que mes pointes de pieds foulent rarement la terre qu'elles frôlent, telles des ailes fendant les airs pour aller toujours plus vite. Tous mes sens sont en éveil. Je suis méfiante, mais je garde mon principal but en tête : traquer, puis tuer.

        Je deviens une guerrière, capable du meilleur comme du pire. Une bête sauvage, prête à tout pour achever sa proie. Il ne faut pas me contrarier quand je suis dans cet état-là, cet état primitif, cet instinct de survie qui reprend peu à peu le dessus sur l'espèce humaine, depuis que celle-ci n'a plus le monopole de la chaîne alimentaire. Le vent soulève mes cheveux flamboyants, me procurant un frisson de plaisir, une jubilation de prédateur qui attrapera bientôt sa proie. Ils sont peut-être trop longs ou trop peu discrets, mais je les aime comme ils sont, et personne ne me fera changer d'avis. Je me sens libre. C'est ça, ce que je ressens : la liberté. Je suis libre de tout mouvement, libre d'aller où je veux. Ici, je ne suis plus une pauvre lycéenne colérique et asociale. Non, ici, je suis une louve, un carnivore. Je suis une tueuse.

         Je reconnais la bête que je traque. C'est un marcassin égaré, loin de sa famille, qui se repose tranquillement sous la chaleur estivale de la clairière. Lentement, je sors une flèche et la coince sur ma corde de coton, grâce à l'encoche qui a été faite dans son bois. Rapide comme l'éclair, je bondis de sous les arbres, mon arc brandi devant moi. J'ai toujours préféré cette arme, plus rapide, plus précise, que je manie depuis mon enfance. Plus stylée, aussi, je l'avoue. Elle participe à ma popularité éventuelle, à ma démarcation des autres, à définir ce que je suis. Sous mes doigts, j'étire doucement ma corde, braque mon arme sur le pauvre bébé sanglier qui n'a pas le temps de s'enfuir. Je me concentre sur ma cible et aligne dans mon chant de vision la pointe de la flèche et le cœur de l'animal, et je lâche ma flèche avec précision. Avant qu'il ne puisse seulement crier, l'animal s'écroule dans la poussière.

Les Élus du CourrouxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant