Chapitre 4

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        Nous émergeons dans la petite clairière à l'herbe rase qui forme la place du Village de la Forêt. Le soleil, dont l'inclinaison dans le ciel nous indique qu'il est à peu près 16 heures, éclaire une petite foule qui se masse ici pour y échanger le produit de leurs disciplines respectives. Oui, une petite foule car, étant donné que nous ne sommes que trente-deux et que la plupart sont des enfants, toujours en classe, celle-ci n'est pas très remplie. En fait, nous ne sommes qu'une dizaine, en comptant les deux frangins et moi. Mais le lieu est tout de même chaleureux, j'aime beaucoup cette ambiance de fin d'après-midi, lorsque j'ai bien rempli ma mission et que je peux enfin me faire plaisir.

        Cinq petites huttes ont été bâties en bordure de la trouée. Derrière les tables en bois devant chacune d'elle, deux personnes, un adulte et son apprenti, nous interpellent pour la plupart. Seule l'une d'elle, celle destinée aux baies et autres denrées naturelles cueillies par les enfants, est vide, mais pas pour bien longtemps. Une autre est occupée, je le sais, par Galet, notre doyen. Azur, son apprenti de neuf ans, attend sur le seuil, au cas où un blessé surgirait et nécessiterait des soins de toute urgence. Le petit frère de Lys et de Hyacinthe est le seul enfant de moins de quatorze ans ayant le droit de se professionnaliser. 

        Lorsqu'il a dû se reconstruire, l'être humain n'a pas eu d'autre choix que de se réorganiser complètement.  Il a été forcé de vivre dans une véritable autarcie, étant coupé du reste du monde avec la destruction de ses modes de transport et le nombre d'individus ayant considérablement diminué. Alors, chacun s'est spécialisé selon ses aptitudes. Mon père, en tant qu'ancien footballeur assez doué et très sportif, a été choisi comme chef des chasseurs pour ses muscles puissants et son cardio à toute épreuve. Quant à ma mère, elle a grandi avec sa sœur à la campagne, ainsi les deux fillettes ont beaucoup bricolé avec des matériaux trouvés dans la nature. De plus, elle a fait des études de couture, donc c'est naturellement qu'elle s'est proposée en tant que couturière. 

        Notre mode de fonctionnement est particulier, basé sur celui d'un seul ménage, car nous vivons tous ensemble désormais. Ainsi, chacun fournit ce qu'il peut fournir en des quantités suffisantes pour chacun des villageois. Puis, lorsque les Grands Pèlerinages ont commencés, nous avons pu échanger avec les autres villages de France. Ce système exclut toute volonté de profit, tout but commercial, tout échange frauduleux, tout vol, car, en théorie, chacun est logé à la même enseigne et chacun vit paisiblement. C'est une sorte de nouveau communisme, mais plus équitable encore, et plus viable, car nous ne sommes pas trop nombreux. Cela n'a rien à voir avec le modèle du marché, en tout cas pas au sens qu'il prenait dans l'Ancien-Temps, avec l'étude de l'offre et de la demande. Pourtant, c'est ainsi que ce lieu magique se nomme, à ce moment précis de la journée : le Marché.

        Étant habituée, je cherche l'endroit où je dois aller et je repère la chevelure rousse de ma mère, près d'une hutte et d'une personne que j'ai moins envie de voir : Lilas. Elle est malheureusement l'apprentie de ma mère. Je me demande comment j'arrive encore à la supporter, alors que je la vois au quotidien, à longueur de journée. Comme losqu'elle flirte avec Jasmin, je soupçonne que son choix d'orientation, de devenir l'apprentie couturière de ma mère, ait été fait pour m'agacer, pour me narguer. Mais je me fait sûrement des idées, comme c'est le cas souvent à propos de cette fille insupportable. Après tout, le monde ne tourne pas autour de moi, c'est tout le contraire malheureusement. Avec mes camarades, je m'approche d'elles et, sans un regard à Lilas, je tend mes grives à ma mère.

« Tiens, je me suis dit que tu aimerais récupérer les plumes pour tes créations.

- Merci. »

        Elle me sourit légèrement, pendant que Lilas me toise de haut, l'air fier alors qu'elle n'a que quinze ans, cette pimbêche. Mais celle-ci fait moins la maligne quand ma mère lui tend l'une des grives afin de la déplumer, ce qu'elle fait en grimaçant. J'aperçois ma poule, déjà déplumée sur le plateau de bois, et je me rends compte que mon père est déjà passé par là. Cette fois, c'est moi qui grimace, et je lance un regard désolé à ma mère, qui répond par un hochement de tête, exaspérée. Papa lui a raconté. Comme ma tunique n'a pas été très endommagée aujourd'hui, je ne lui demande rien en échange de mes plumes et je laisse Hyacinthe déposer le marcassin sur la table pour en échanger la peau. Lys le suit avec ses proies, alors j'attrape le volatile et m'éloigne vers un autre étalage.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 24 ⏰

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