Graine de vent - Partie 2

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Le matin, un soleil rouge se leva sur un paysage gris.

On distinguait mal les troncs d'arbres calcinés qui s'entassaient les uns par dessus les autres. De temps en temps, on entendait un craquement : un arbre miraculeusement resté debout s'effondrait à son tour pour se confondre avec ses défunts frères dans ce cimetière de bois mort.

Tout avait brûlé.

Eano était assise en silence, immobile, au milieu de cette scène d'apocalypse. Ses cheveux, devenus complètement gris à cause des cendres, étaient désordonnés et volaient devant ses yeux rougis mais elle n'y prêtait pas attention.

Son regard perdu fixait sans le voir un monticule de bois mort devant elle. Sous un énorme tronc à moitié brûlé auquel se superposait une multitude de branches fracturées, dépassait la moitié du corps d'un immense félin aux yeux blancs, inerte. Un filet de sang coulait encore de sa gueule dont l'un des crocs était brisé et ses yeux paraissaient vides et craquelés. Le vieux gardien avait trépassé.

Lorsqu'elle l'avait découvert déjà mort plusieurs heures plus tôt, Eano avait d'abord tenté de le dégager de sous cet arbre beaucoup plus lourd qu'elle, sans succès. Elle avait hurlé, pleuré toute la nuit, cela n'avait pas ramené son grand-père. Et puis, épuisée, elle avait fini par s'effondrer devant lui, les yeux rouges et la voix cassée, appelant toujours son aïeul sans qu'aucun son ne parvienne plus à sortir de sa bouche.

Un peu plus loin gisait son père dont le poil brûlé émettait encore une odeur putride. Eano n'était pas parvenu à retrouver sa mère, probablement enterrée sous des monticules de débris, mais elle avait aperçu Moso, la nuque brisée par une énorme branche. Le petit félin avait l'air si fragile, le visage figé dans une expression de peur, les yeux craquelés comme son ancêtre.

Quelle avait été la cause de sa frayeur ? L'orage ou sa sœur ?

Eano se recroquevilla comme elle l'avait fait la veille auprès de son grand-père mais n'y parvint pas. Soudain, prise de panique, elle regarda ses mains, son corps dans sa longue robe et palpa son visage : elle n'arrivait plus à retrouver sa forme primaire. Le déferlement d'énergie qu'elle avait accumulée et libérée avait totalement perturbé ses sens et son organisme. La voix de son grand-père lui revint en mémoire :

"Ces transformations sont dangereuses ! Si tu en abuses tu pourrais bien un jour rester bloquée sous cette forme".

Il l'avait mise en garde : jamais plus elle ne retrouverai son apparence d'origine. Eano soupira tristement... Elle aurait tant voulu se blottir encore une fois contre son pelage sous sa forme féline et l'écouter lui raconter les histoires des grands arbres de la Forêt. A présent elle était seule, prisonnière sous une forme qui n'était pas la sienne, perdue sur une terre stérile et brûlée, damnée par tous ceux qu'elle avait tué la veille.

Son aïeul lui avait dit un jour : "Quand tu fais des erreurs, tu dois toujours les réparer."

Mais comment ? Comment réparer ce désastre ? En replantant la Forêt ? Combien de millions d'arbres avaient brûlés ? Mais puis-je seulement faire autrement ? pensa Eano.

Alors elle se releva et se mit en quête d'une feuille encore verte, d'une branche dont un peu de sève aurait subsisté ou mieux, d'une graine.

*

L'ex-métamorphe avançait difficilement parmi les débris calcinés sur lesquels elle manquait de trébucher à chacun de ses pas, détournant les yeux chaque fois qu'elle voyait une patte dépasser de sous un arbre. Elle voulait s'éloigner de l'épicentre dans l'espoir de trouver quelques pousses qui auraient été épargnées. Mais l'horizon était gris et aucune trace de végétation ne subsistait, ne serait-ce qu'un carré d'herbe.

Échantillons (recueil de nouvelles)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant