V - Le Malade

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 L'air était nauséabond en traversant les couloirs au papier peint décollé par l'humidité. Les cadres étaient tout de même restés accrochés aux murs, l'homme reconnaissait les peintures qu'il faisait plus jeune. Il n'avait jamais arrêté, face aux horreurs il avait toujours continué ses aquarelles, peindre pour vivre, peindre pour survivre. Il se souvenait de chaque dimanche, ou il était là, assis sur le même banc sur la place, devant la boulangerie. Dans son calepin, il esquissait les passants, toujours les mêmes têtes, les mêmes sourires. L'odeur du pain chaud, la voix de sa mère lui demandant – depuis la fenêtre ouverte de la cuisine – de rentrer quand il se faisait trop tard.

Au bout du couloir, il y avait une porte, grande ouverte. Par laquelle la lumière jaune et chaude du crépuscule passe encore. Un soir d'été. Il entend ses bottines de ville sur le plancher craquant. Voit sur les marches, une figure retournée et s'assoit à ses côtés. A côté d'elle, ils regardent le jardin, aux herbes maintenant hautes et touffues. Le bruit des cigales résonne dans la campagne, en fermant les yeux, il peut encore les voir, tous les deux à se courser avec un seau d'eau, il entends leurs mères - de bonne femmes usée par les âges mais dont l'amour restait le même - discuter bruyamment de ragots depuis la cuisine grande ouverte. Sa tête se tourne vers lui, elle demande "Depuis combien de temps n'es-tu pas revenu ?"

- Longtemps.

Tout avait bien changé depuis la dernière fois où il était venu. Pas seulement cette maison d'enfance, mais tout le village, les têtes aussi. Tout, surtout elle. Son visage pâle et rond, ses yeux en amande, son petit nez aplati, ses lèvres et ses dents du bonheur. Ses cheveux coupés courts. Sa petite taille de guêpe. Tout était resté comme quand il l'avait connu. Comme quand elle était petite fille. Si ce n'est plus mûre. Mais elle, avait grandie, était devenue presque femme au point ou il ne la reconaissait qu'à peine. Elle, qui à chacune de ses visites lors des grandes vacances lui sautait au cou, restée enfant quand elle le voyait lui.

- Trois ans.

Il avait quinze ans lorsqu'il l'a connu, cette petite fille de onze années, au grand sourire. C'était au mois de Juin, un été particulièrement ensoleillé. A une période de l'année ou les mômes sortaient de chez eux à vélos et allaient se rejoindre sous le grand pont. En contrebas, sous les piliers, ils plongeaient et se baignaient dans l'armançon. Ce jour-là il était parti à une heure et quart à vélo, dans son sac il avait réuni quelques feuilles et ses pinceaux.

Il s'installait à l'écart, sur une petite plage de cailloux blancs, pour dessiner le pont et l'eau en contrebas, plus particulièrement ses reflets et ses jeux de lumières à la surface en cette heure de l'après-midi. On arrivait à voir les rochers du fond. Ceux que les enfants évitaient en sautant à des endroits bien précis, se laissant ensuite porter par le courant.

Il portait une chemisette rouge et un bas brun. Il s'était installé sur un morceau de tronc d'arbre tombé là, comme un espèce de banc. Les enfants étaient peu nombreux ce mercredi-ci, tout était relativement calme, juste un groupe de filles encore à l'école élémentaire, sûrement en septième classe. Lui avait arrêté cette année-là, il tenterai d'intégrer le lycée, par horreur pour la vie d'agriculteur. Elles étaient quatre là-bas, même s' il ne faisait que les croiser en passant sur la place quotidiennement sans les côtoyer, il avait l'impression qu'il manquait l'une d'entre elles.

Alors qu' il arrêta le mouvement calme de son pinceau et se tourna. Là, à quelques dizaines de centimètres de sa feuille, il y avait une petite tête brune fixée sur le dessin. Dont les cheveux garçonne trempés gouttait sur la feuille et faisait déteindre les couleurs. Le garçon tenta précipitamment de sauver la peinture, jurant "Ah ! Sainte mère de.." trop tard. L'aquarelle avait imbibé sa feuille avec l'eau de la rivière. Il se leva, d'une rage soudaine impuissante. Se tournant vers la coupable. Une petite fille trempée le regardait avec sa bouille désolée, mais toujours amusée. Ses yeux larges l'un de l'autre grand ouverts.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 10, 2024 ⏰

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