32. Les flammes et l'acier

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Comme c'était à craindre, il ne fallut guère de temps à Pangelpique pour se mettre à m'utiliser comme une marionnette bonne à trimbaler lors de tous ses déplacements.

J'étais devenue sa chose, sa propriété personnelle. Ce constat me révoltait au plus haut point, mais je ne pouvais rien faire pour m'y opposer. En vérité, j'enrageais autant que je désespérais un peu plus chaque jour.

Lorsque je n'étais pas en visite aux côtés de l'Inquisiteur, j'étais forcée de rester cloîtrée dans ma chambre en attendant la visite quotidienne de Ravagnan. Le vieux praticien s'efforçait, du mieux qu'il le pouvait, de soulager les terribles stigmates infligés par la Malveillance. Même si l'habileté de Ravagnan me permit de recouvrer rapidement des forces, mon reflet dans le grand miroir ne trompait pas. Je demeurerais à jamais une enfant prématurément vieillie, comme en attestaient ma chevelure blanche et mes grands yeux cernés.

J'en appris également plus sur les circonstances de mon sauvetage. Quelqu'un, j'ignorais qui, avait pris la responsabilité de prévenir les autorités qu'une gamine s'était retrouvée prise au piège au numéro 7 de la rue Dony. Malheureusement, son appel au secours ne trouva aucun écho, dans un premier temps. Jusqu'à ce que la nouvelle parvienne aux oreilles de Saturnin lui-même. Aussitôt, le chevalier se rendit sur place et tenta de forcer la porte d'entrée de la maison hantée. On pensait, à tort, qu'il lui serait aisé de la réduire en bois de chauffage, cependant rien ne se passa comme prévu. Saturnin, qu'on pensait invincible, avait pourtant dû batailler des jours entiers pour enfin venir à bout d'un simple panneau de bois ! Une rumeur insidieuse commença à se répandre : une force diabolique habitait cette maison, suffisamment puissante pour tenir tête à un héros tel que Saturnin le Magnifique. Un attroupement de plusieurs centaines de personnes se forma, voulant assister à n'importe quel prix à cette lutte opposant le Bien et le Mal.

Lorsque, finalement, le Magnifique parvint enfin à pénétrer dans la maison et à en revenir vivant, une enfant à demi-morte dans les bras, les liégeois laissèrent éclater leur joie, partout dans la ville. Si bien que les troupes de l'Inquisiteur durent batailler ferme afin de maintenir un semblant d'ordre et, ainsi, éviter que la liesse populaire ne dégénère en émeute.

Le grand gagnant dans cette sinistre affaire fut Saturnin, dont l'aura augmenta encore considérablement aux yeux des Liégeois. Pangelpique comprit très rapidement le parti qu'il pourrait tirer de ses événements. C'est pourquoi il choisit de faire de moi son porte-étendard, autant que sa prisonnière.

Fait étonnant, que même Ravagnan ne pouvait expliquer, j'avais survécu plusieurs semaines sans boire ni manger. Si l'été n'avait pas encore débuté lorsque j'avais été prise au piège, je n'avais repris connaissance qu'à la toute fin du mois de septembre 2082. Je pensais intérieurement que ma condition de Macrâle n'était pas étrangère à ce miracle. Si la Malveillance avait dit vrai, que mon véritable géniteur était bien un esprit des vents, qui savait quels étaient vraiment mes pouvoirs ? Où s'arrêtaient vraiment mes limites ? Autant de questions auxquelles il me faudrait répondre, tôt ou tard...

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Plusieurs semaines s'écoulèrent encore, rythmées entre les interminables cérémonies aux côtés de l'Inquisiteur et de sa clique, et les longues périodes de solitude, enfermée dans ma chambre, à me morfondre. Les courtisans qui suivaient Pangelpique étaient tous des hommes gras et trop imbus de leur personne pour m'accorder la moindre considération. Une seule chose leur importait et occupait généralement l'intégralité de leurs conversations : eux-mêmes !

Au sein de cette délégation perpétuellement accrochée aux basques de l'Inquisiteur, deux personnages dénotaient. Le premier n'était autre que Ravagnan. Ce dernier, qui se trouvait là non par envie mais bien par obligation, mettait sa propre vie en jeu. Le second mouton noir de ce troupeau se trouvait être Saturnin. Le colosse, toujours imperturbable, se contentait de rester à l'écart du groupe, comme un observateur extérieur, cependant prêt à intervenir et défendre son maître au moindre signe d'alerte.

Macrâle: l'enfance d'une sorcière de BelgiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant