5 juillet 2017, Le printemps de notre été

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D'habitude, les parents sont obsédés par l'une de ces deux choses vis-à-vis de leurs enfants : le mariage ou les études. Dina, elle, avait eu l'immense honneur d'avoir une mère obnubilée par les deux. Très vite, elle avait dû trouver le moyen d'en esquiver un. C'était bien connu, un jour ou l'autre, les enfants décevaient leurs parents, en choisissant des voies différentes de celles qu'ils avaient prévues pour eux. Autant choisir celle qui nous convient le mieux. Le choix n'a pas été si cornélien, pour Dina. Elle ne rêvait pas du grand amour - l'absence de son père n'avait pas réussi à la convaincre de l'utilité d'un mariage - et ses notes scolaires lui promettaient un bel avenir dans le monde de l'astronomie ou de l'astrophysique.

Avec la grande pression qui pesait sur ses épaules - celle d'une mère issue de l'immigration qui avait dédié sa vie entière à la réussite de sa seule et unique fille et qui serait prête à tuer pour son confort - Dina avait dû trouver refuge quelque part, pour évacuer la pression : le ciel. Rien ne la fascinait plus que cela, pas même le tout nouveau skateboard qu'elle avait reçu au aïd dernier par sa tante.

Lors de ses vacances en Tunisie, dans la maison familiale, quand sa mère commençait à se lamenter encore une fois sur son mariage raté auprès de ses cousines, elle rejoignait le toit pour observer les étoiles. Le ciel constellé de la Tunisie la ramenait à sa petitesse et aux mystères millénaires de l'univers. Dans le ciel pollué de sa grande ville européenne et industrialisée, elle ne les voyait jamais. Ce ciel la fascinait autant qu'il l'effrayait. Alors qu'elle imaginait les milliards de vies qui l'avaient précédée, elle se mettait soudainement à avoir peur que le ciel lui tombe sur la tête ou que celui-ci l'engloutisse. Dans les deux cas, ce qu'elle ressentait était si fort qu'étudier de plus près ces petits astres lui était devenu viscéral. À ses sept ans, Dina avait supplié sa mère pour avoir un télescope, celui qu'elle voyait dans les catalogues de jouets de Noël, fête qu'elle ne célébrait pas, mais dont elle essayait tout de même de tirer profit grâce aux prospectus reçus dans la boîte aux lettres. Et, comme la-fille-unique-de-sa-maman-chérie obtenait toujours tout ce qu'elle voulait, elle avait évidemment fini par le recevoir (pas le vingt-cinq décembre, mais le premier janvier, le jour de son anniversaire que tout le monde oubliait, sauf sa mère). À première vue, cela ressemblait à un caprice, mais Dina avait secrètement pleuré de joie dans sa chambre, en observant la toute première étoile de sa vie à la lunette de son propre télescope.

De la montagne de choses que lui avait offert sa mère au cours de sa vie, ce cadeau avait sûrement été le plus utile, car il avait fait naître en elle une vocation, qui s'est confirmée le jour de ses résultats d'admission post-bac. À la rentrée, Dina allait entrer dans le monde fabuleux d'une licence de physique, avec une spécialité en physique spatiale. Ensuite, elle ferait un master spécialisé dans l'astronomie ou l'astrophysique, elle ne s'était pas encore décidée. Pour elle, cela sonnait comme le Paradis sur Terre.

- Alors, t'es contente ? lui demanda Théo, son meilleur ami, devant la grille du lycée.

Après avoir pu consulter les résultats du bac sur le panneau d'affichage du hall, ils avaient ensuite reçu leurs résultats d'admission post-bac. Dina avait remporté ce passage obligé haut la main, avec une moyenne de seize sur vingt et une admission dans à peu près toutes les formations auxquelles elle avait candidaté.

- Ma joie est intergalactique, Théo. Tu imagines ? Je vais enfin pouvoir passer mon temps à étudier ce qui me passionne sans que ma mère ne me dérange, parce que ça sera pour le bien de ma réussite universitaire.

- Je ne comprends pas comment on peut être autant passionné par ces trucs-là.

- En même temps, il n'y a pas grand chose qui te passionne, toi. Tu ne peux pas comprendre.

À tous nos étésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant