Ravagés [TERMINÉE]

21. Petit faon

Scatterbrain - Kxllswtch

La flegme. L'art de se réveiller dans la voiture en mouvement de son stalker et de feindre d'en avoir rien à foutre.

J'entends d'abord un morceau de rock à la radio. We Belong Together de Ritchie Valens. C'est trop lent à mon goût, mais il y a pire. Ensuite, à travers mes paupières papillonnantes, ma vision se focalise sur le paysage qui défile à toute allure derrière la vitre. Mon front douloureux est collé dessus, les gouttes de pluie se coursant de l'autre côté.

— Bien dormi ?

Je me redresse d'un coup.

Caleb est installé derrière le volant, un demi-sourire diabolique dessiné sur ses maudites lèvres. Ses cheveux sont en bataille sur son crâne, donnant l'impression qu'il les a agrippés dans sa frustration. Enfin, une lueur de malice brille dans son œil gauche.

— T'as bavé sur mon fauteuil en cuir.

— Espèce d'enfoiré, m'indigné-je en massant l'œuf qui est apparu à l'arrière de mon crâne. T'étais obligé de me frapper ?

— Tu voulais pas fermer ta gueule, donc oui.

Détache sa ceinture et abaisse le frein à main.

Je considère sérieusement la folle suggestion de la petite voix. Lancé à cette vitesse, il est certain de voler à travers le pare-brise. Le problème, c'est que moi aussi.

Mais... attendez un instant.

Alors que je vais pour attacher ma ceinture, je constate que Caleb l'a déjà fait. Ce qui est un pur soulagement quand on tient compte de sa conduite de taré, mais tout de même... je suis choquée qu'il ait pris le temps.

— Ils sont où, tes potes ?

— En voiture derrière nous. Ils vont essayer de retrouver ton frère ; il a pas dû rouler bien loin.

Je reporte mon attention dehors. À cause de l'orage, la route est uniquement éclairée par les phares du véhicule. Mais, au loin, on commence à discerner les lumières d'une ville.

— T'es un sombre crétin si tu crois que je vais jamais riposter.

Face à son silence, je renifle mon exaspération.

Pour extérioriser l'électricité qui vibre dans mes veines, je touche à tout dans l'habitacle : je règle le chauffage, puis je monte le son de la radio avant d'ouvrir la boîte à gant. Sans surprise, un flingue repose là, juste au-dessus de la carte grise et de l'assurance.

Je m'en empare sans hésiter et l'inspecte en le tournant dans tous les sens.

— Alors, comment ça va se passer entre nous, maintenant ?

— Il n'y a pas de « nous », petit faon.

— Objection, dis-je en visant l'horizon avec le pistolet. Mon frère court toujours en liberté, et je dois encore lui faire cracher le morceau sur notre mère, alors... je pense qu'il y a encore un « nous ».

Je lui jette un regard en coin, mais il s'évertue à me tendre la sourde oreille.

— Ok, continue de grincer des dents en silence comme le tueur dérangé que t'es.

Pendant une minute, je jongle avec l'idée de relancer l'offensive sur le sujet des redrooms et de cette mystérieuse Daisy, mais je me ravise. Il y a une pointe d'acide dans tout ce qu'il dit qui me met sur mes gardes.

Et pour une fois, je choisis d'écouter mes instincts.

— Tu m'as pas répondu quand je t'ai demandé ce que tu fais dans la vie.