Chapitre Cinq

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Je pense que ma peur du noir me vient d'une expérience vécue durant mon enfance. Je dormais alors chez ma grand-mère qui possédait une très grande maison perdue en pleine campagne valenciennoise. Pendant la nuit, j'avais voulu me lever pour me rendre aux toilettes. Il n'y avait aucun lampadaire dans la rue pour apporter un peu de clarté et j'avais erré dans la maison, incapable de trouver les interrupteurs, me cognant contre tous les murs. Ma folle virée nocturne s'était transformée en terrible crise de panique. Et ma grand-mère avait fini par me retrouver prostré dans un angle de mur, en larmes, inconsolable.

Aujourd'hui, évidemment, je ne pleurais plus quand je me retrouvais dans le noir. Pourtant, quand les plombs sautèrent, je balançais mon bouquet de roses à l'autre bout du couloir, tendu comme un piquet, les pupilles dilatées. A l'extérieur, Chouquette continuait d'aboyer, grattant la porte, amplifiant un peu plus ma panique. En ultime reflexe, je dégainais la lampe torche de mon téléphone pour balayer le couloir devant moi. Les roses gisait à quelques mètres plus loin.

Mon cœur battait la chamade. Je me précipitais vers le salon, les poils de mon corps hérissés, pour attraper la lampe abandonnée sur la table basse quelques heures plus tôt. Je me mis alors dos à un mur, ma lampe braquée en direction du couloir, apercevant une partie de la cuisine. Et c'est toujours tremblant que je cherchais ma conversation avec Monsieur Johnson. 

- Alors Ayden ? Tu t'es régalé ?

- Monsieur Johnson, la maison est dans le noir.

- Comment ça ?

- Je crois que les plombs ont sauté. Je suis dans le salon.

Je me rongeais les ongles de la main gauche. Chouquette n'aboyait plus mais je l'entendais toujours gratter à la porte en reniflant. D'une certaine manière, cela me rassurait un peu.

- A cause de la tempête ? J'ai cru comprendre que c'est assez violent. Tu vas bien ?

- Ca va. Mais c'est pas la tempête. Elle s'est calmée. Les plombs ont juste sauté d'un coup.

- D'accord. Bon gardes ton calme surtout. Le compteur principal est situé au niveau de la cave. Tu passes par la porte, tu te retournes, il sera juste au-dessus. Tu le relances et tu me dis quand c'est fait.

L'idée de déverrouiller la porte de la cave m'enchantait guère. Je dus faire une titanesque gymnastique mentale pour me confirmer le fait que la Banshee n'était rien d'autre qu'une poupée grandeur nature désarticulée. Il était impossible qu'elle puisse se lever de son tonneau pour rejoindre l'escalier et grimper les marches à quatre pattes, les cheveux en cascade. 

Je m'insultais moi-même d'avoir eu une telle pensée. Quel abruti ! 

Les muscles tétanisés, je mis bien quelques minutes pour réussir à me mouvoir. Je tendais l'oreille à chacun de mes pas. Chaque objet, chaque décoration, chaque meuble m'apparaissait comme déformé dans le noir. Je dus ainsi accomplir un effort mental surhumain pour me forcer à poursuivre mon chemin jusqu'à la porte de la cave. J'aurais été tout à fait capable de me laisser glisser contre un angle de mur pour y attendre le lever du jour, les yeux grands ouverts. 

La porte du cellier ouverte, je maintenais le rayon de la lampe-torche vers le bas de l'escaliers. J'avais ce sentiment que toute la chaleur de mon corps s'était évaporée. Malgré la tiédeur de l'été, ma peau était glacée. Et je dus faire un nouvel effort monumental pour m'avancer quelque peu et oser tourner le dos à la descente d'escalier. Mon imagination me renvoyait des mains aux ongles décharnés qui s'approchaient doucement de moi, prêtes à me saisir par tous les membres.

Ayden / Une nuit chez Monsieur JohnsonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant