Chapitre 1 - Glace

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Je me trouvais au milieu d'une mer de glace. Littéralement. Une mer de glace islandaise aussi magnifique qu'inhospitalière.

De ma main pâle je formais un parasol à la hauteur de mes sourcils afin de me protéger du soleil éclatant. Tentative assez vaine, étant donné que les rayons ensoleillés se réverbéraient sur les monceaux de glace m'entourant de toute part. Ces derniers, de véritables monstres gelés miroitant à la surface de l'eau calme, glissaient paisiblement au rythme des quelques vagues tranquilles de la lagune. Les pics acérés bleu gris des icebergs pointant vers le ciel tendaient leurs longs bras puissants dans un geste désespéré pour extirper leur partie immergée, trois fois plus imposante que celle émergée, de l'eau bleutée.

Je donnai un vigoureux coup de pagaie, éclaboussant au passage la seconde passagère située à l'arrière du kayak.
"Eeeeh ! Fais gaffe, Inès ! L'eau est glacée, alors je me passerai de ta douche forcée ! fit Charlie, l'air indigné.

- Désolée..." marmonnai-je.

J'étais captivée par les superbes reflets azurs de la glace. De l'autre côté de la lagune, ses parois plongeant abruptement dans la mer, le glacier, dont provenaient certainement les morceaux de glace décrochés devenus des icebergs, s'étendait jusque loin dans les montagnes dentelées.

Une petite voix, me murmurant à l'oreille, me tira de ma torpeur irréelle.
"Et ooooh, Inèèèèèès. Tu m'entends ?"

Je papillonnai des paupières et regardai ma meilleure amie Charlie. Ses longs cheveux soyeux de couleur noisette retenus par un bandana encadraient son visage jovial parsemé de tâches de rousseur. Elle était assez rondouillarde, mais possédait un sourire qui faisait fondre n'importe qui lorsqu'elle exposait ses fossettes si mignonnes.

Je baissai les yeux sur le gilet de sauvetage d'un orange criard qui l'enserrait. Moi-même, de quoi avais-je l'air dans cet accoutrement ? Je ricanai doucement.

"Tu te sens bien ? s'inquiéta Charlie.

- Oui, oui, tout va bien, la rassurai-je. J'étais simplement dans mes pensées...

- J'ai vu ça... Mais dois-je te rappeler que c'est grâce à moi et à moi seule que tu peux savourer cet instant magique, ici même ? dit-elle avec un air malicieux. Sans moi, tu serais toujours barricadée dans ta tanière à lire ou à jouer à tes jeux vidéos stupides.

- Ces jeux sont tout sauf stupide !" grommelai-je.

Je sortis ma pagaie de l'eau et la pointai sur mon amie. Puis, je pris un ton mielleux en détachant soigneusement chaque syllabe, et ajoutai :

"Merci Charlie. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi...

- Il n'y a pas de quoi, sourit-elle."

Ensemble, nous partîmes d'un grand éclat de rire.

Charlie et moi, c'est une véritable histoire d'amour. Enfin... d'amitié plutôt. Nous nous connaissons depuis la maternelle. Entre nous, pas besoin de mots pour se comprendre ; on se soutient mutuellement. C'est grâce à elle que j'ai connu mes fous rire les plus mémorables. Mais elle était également présente lors du décès de ma grand-mère dont j'étais particulièrement proche, et elle a su me redonner le sourire. Sincèrement, sans elle, ma vie serait bien sombre...

"Franchement, dis-je après avoir retrouvé mon souffle et essuyé les larmes de rire perlant aux coins des yeux (oui, il n'en faut pas beaucoup pour en venir aux larmes avec moi...), je te remercie de m'avoir emmenée. Ce paysage est tout simplement sublime. A couper le souffle. Dire que je suis en train de pagayer au milieu des icebergs, en Islande, avec ma meilleure pote, et qu'en plus, le soleil brille - rareté sur cette île située au même niveau que le Groenland...

- Et "en train de me taper ma meilleure barre" rajouta Charlie, le sourire aux lèvres.

Je me perdis dans ses yeux verts pétillants.

"Promets-moi juste une chose, Charlie. Ne me laisse jamais dépérir seule dans mon coin. Et fais moi découvrir les merveilles du monde. Sans ma meilleure amie, la vie n'a plus le même goût de liberté."

Charlie ne dit rien pendant de longues secondes. Finalement, elle répondit :

"Ça fait un peu plus qu'une seule chose, là, non ?"

Elle avait un air complice sur le visage. Je lâchai un petit rire. Mon amie me tendit sa main, le petit doigt levé. D'un commun accord, nous scellâmes le pacte d'une jointure de nos deux auriculaires.

"Promis, juré, cra...aaattention Inès !"

Un choc sourd .
Une douleur fulgurante à l'arrière de mon crâne, tel un courant électrique.

Je me sentis tomber.
Une étoffe glacée m'enveloppa brusquement.

Puis tout devint noir.

Ice, land & LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant