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C'était comme un brasier provenant de cendres qu'il pensait à jamais éteintes. Imprévisible. Destructeur. Effroyable. Pourtant, seule une petite brise, un souffle, avait suffit à raviver les flammes.

C'était brûlant, ardant, comme un grondement sourd dans sa poitrine le laissant haletant. L'adrénaline coulait à flot dans ses veines alors qu'il tentait de mettre des mots sur ce qu'il ressentait, mais rien ne semblait marcher, tout sonnait faux, distordu. Il avait l'impression qu'on lui avait brusquement arraché ses cordes vocales, le laissant muet, vide de mot.

C'était juste trop, trop fort, trop bruyant, trop rapide. Il n'arrivait pas à saisir quoique ce soit, ne faisait que ressentir, impuissant. Cela semblait venir de nulle part, impossible de savoir ce qui avait pris feu en premier parmi l'incendie. Comme des atomes, tout s'était fondu dans une masse informe, formant un tout indescriptible. Ça avait commencé avec un, puis ça avait dégénéré. Maintenant, ça brûlait tout sur son passage, lui laissant la gorge sèche et les mains moites.

Il déglutit difficilement, un souffle tremblant franchit ses lèvres. Sa prise sur son arme se relâcha, alors que son regard s'attardait toujours plus longtemps sur ce qu'il voyait ; l'homme en face de lui.

Là, dans le misérable taudis qui se dressait encore malgré l'écho des coups de feu qui se faisaient entendre dehors. Là, où Sidjil avait espéré pouvoir s'abriter, le temps de panser ses plaies et d'attendre que la pluie d'explosif se calme ; se tenait un homme.

Avachi sur le sol, la respiration lourde et haletante, et le canon de son arme pointé sur Sidjil. La mâchoire serrée, il défiait Sidjil de tirer le premier. L'arme était chargée, dangereuse, et à cette distance, mortelle. Néanmoins, Sidjil abaissa légèrement sa propre arme, malgré la menace, son index s'éloigna de la gâchette.

L'homme était mourant, Sidjil le savait. Il avait assez côtoyé la mort dans sa vie pour en reconnaître les traces, la signature.

L'odeur de la mort s'accrochait à lui, à sa chair livide, lui laissant le teint blafard, humide, alors que la sueur perlait sur sa peau, glissant le long de ses membres comme une caresse morbide. La couleur de son sang, comme rouillée, collait à ses vêtements, coulait sur le sol laissant ses traces funestes sur son passage. Son corps tremblant, fébrile, essayait vainement de guérir, s'efforçait jusqu'à l'épuisement d'essayer, n'importe quoi, juste quelque chose pour retarder l'inévitable.

Mais tout cela n'avait rien de nouveau pour Sidjil. Il avait déjà vu ça sur des frères, des collègues, des rivaux. Non, rien de tout ça n'expliquait la raison de ces fourmillements incessants dans ses membres et le grondement qui vibrait encore dans sa cage thoracique.

Peut être était-ce la prise sûre qu'avait l'homme sur son arme malgré les tremblements qui parcouraient sans cesse ses doigts fébriles, ou bien la tension que Sidjil pouvait sentir dans chacun de ses muscles, prêt à bondir, agir, malgré ses blessures ? Ou bien, c'était son regard.

Le souffle de Sidjil se bloqua dans sa gorge alors qu'il plongeait ses yeux dans ceux du blessé.

De sa vie, il n'avait jamais vu ça. Cela n'avait rien avoir avec ses regards larmoyants, désespérés, terrorisés à l'idée de mourir, de quitter l'existence sur terre si vite, qu'il voyait si souvent."Pitié je suis trop jeune pour ça." ou alors "J'ai encore tant de choses à accomplir." Non - un frisson parcouru la colonne de Sidjil - c'était tout le contraire, il n'avait pas peur.

Son regard était vif, perçant et tellement vivant. Jamais il n'avait vu un homme aussi vivant dans la mort. Même dans ses derniers instants, il se battait, s'accrochait à ce qu'il était, ses idéaux fermement inscrits dans ses iris alors qu'il acceptait la mort, l'attendait de pied ferme.

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