Chapitre 1: Ma petite Alice

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Mon père était un homme dur qui s'abreuvait de chaque revue, roman ou mémoire, sur la cruauté du monde, qu'il pouvait pêcher. Lui-même se noyait, dans une vision violente de la réalité, se réjouissant de chaque conflit, comme une manière d'aiguiser  son jeu  d'épée ou sa posture à cheval, à travers les batailles imaginaires, qu'il enviait à ceux qui les avaient vécus . Son jeu, parlons-en. Pas que je ne veuille pas considérer que toutes difficultés est une satisfaction à atteindre, mais la maladresse avec laquelle il piquait son arme pendant les combats, compensait largement l'hardiesse  qui y mettait. Je crois que je pus le désarmer pour la première fois à mes sept ans après qu'il m'ait provoqué en duel pour une malheureuse farce. Son honneur aurait été sali par l'œuf pourri que j'avais caché dans son chapeau, et qui lui avait dû une pertinente remarque de la part d'un marchand avec qui il voulait faire affaire. Mais quand son épée lui glissa des mains et alla se cogner sur le sol dur des graviers du jardin, il se figea , me marmonna quelques mots de réussites avant de retourner à son vin, joueur coupable dans la facilité avec laquelle je l'avais mis en difficulté. Enfin, c'est ce que mon grand frère m'avait suggéré d'un ton dédaigneux. Aucun mot blessant ne lui manquait.
Il les crachait un par un, piochant dans une collection, qui, comme lui, ne devait jamais finir de se vanter de sa grandeur.
Adossé à un siège, je  tente  désespérément de trouver du repos dans la cacophonie du jeu de piano de ma sœur cadette et du chant de ma mère. Sa gorge rompt sous les aigus qu'elle tente d'atteindre et mes plaintes s'en trouvent couvertes . Agacé par cette chorale je prend un des coussins brodé et le jette sur la tête d'Alice, qui trouva alors une bonne raison d'abandonner ses partitions.Elle s'empresse de se lever d'un air déterminé, celui qu'elle adopte lorsqu'elle s'apprête  à faire quelque chose qui lui vaudra une bonne correction . Elle s'approche discrètement de moi avant de tirer mon siège en arrière de toutes ses forces. Le fauteuil bascule avec une lenteur ridicule et je me retrouve les jambes en l'air avec comme seul spectacle, les dents de lait mal arrangées de ma sœur qui se tord de rire. Ma mère ne bouge pas, désespérée par l'aspect grotesque de la scène. C'est la nourrice qui vainc finalement tirer Alice par le bras en lui reprochant son comportement indigne d'une fille de bonne famille. L'espiègle ne supportant pas l'injustice d'être la seule à se faire blâmer, se débat  en s'exclamant:
-C'est Alex qui m'a interrompu dans mon travail !
-Seulement pour preserver l'ouïe des habitants de cette maison. Rétorquais je d'un sourire que j'avais du mal à contenir, ramassant le coussin à terre.
Offusquée, elle fronce les sourcils avant de crier:
-C'est plus toi mon frère préféré, t'es trop méchant! 
-Ah oui ? Et qui prend ma suite alors ? l'interpellais je les bras croisés
-Achil!  lui au moins apprécie ma musique. déclara- t elle en se tenant au rebord de la porte pour ne pas se faire emporter hors de la pièce par la nourrice.
Je souffle du nez. « L'interêt » que porte mon frère pour elle n'est qu'un moyen de s'assurer qu'elle devienne une parfaite femme au foyer, une qu' il pourra marier à un bon parti. Et que de ce fait, l'encourager à continuer de nous casser les oreilles lui assurait un argument de vente pour quand elle se sera améliorée.
Encore accrochée à la porte, usant d'une force que je ne connaissais pas, elle se débat  tant bien que mal. Elle finit finalement par céder d'un coup en emportant la malheureuse nounou à terre:
-Mademoiselle Alice, votre insolence n'a d'égards que vos manières honteuses de vous comporter! s'exclama t elle la main sur le genoux tentant tant bien que mal de se relever sans se prendre les pieds dans les jupons blanc que lui avait imposé ma mère.
Puis elle  ramassa l'enfant  comme les marchands portent les sacs de pommes de terres, avant de lui asséner plusieurs  coups sur les fesses et de l'enfermer dans sa chambre pour la journée.
Je n'avais jamais apprécié l'éducation ou plutôt la non-éducation qu'on nous avait donnée. Mes parents ne se sentaient pas concernés par ce devoir et payaient à la place les nourrices les plus sévères du royaume pour nous cribler de coups lorsque nous faisions quelque choses qui leur déplaisait. Mais malheureusement pour eux, les enfants qu'avaient mis au monde le baron et la baronne Stier ne les craignaient pas et se faisaient même un malin plaisir d' agir contrairement à leurs ordres. Alors quand j'eu décidé que la nourrice avait été trop sévère avec ma sœur, je partis  la secourir.
La chambre qu'elle occupe se situe au première étage, en face des grands jardins de notre propriété. Nous étions une des seules familles qui n'avait certe pas la plus grande maison ou richesse mais un immense jardin au centre même de la capitale du royaume. La baronnerie avait été accordée, elle et son titre, par le Roi à mon arrière grand père, chevalier de la garde royale qui aurait bien rit devant sa piteuse progéniture ou en tout cas, devant mon père.
Je récupère une échelle chez les domestiques et me promène de l'atelier au jardin avec l'imposant objet sous le bras comme si rien n'était plus normal. Enfin arrivé,  je la pose contre la façade et monte une à une les marches de bois jusqu'à être à la hauteur de la fenêtre. À travers, je perçois Alice entrain de tambouriner la porte de sa chambre en demandant à sortir de sa voix aiguë de fillette.  L'espace d'un instant je me suis vu renoncer à libérer le dragon de sa tour mais à  l'autre bout de la pièce  elle m'avait déjà remarqué et me fixait intensément de ses deux grands yeux verts. Puis, sans crier gare, elle se jetta sur l'encadrement où je me tiennais avant de l'ouvrir d'un coup sec me faisant presque valser.
La main sur la poignée de la fenêtre elle me toise de son balcon de fortune:
-Tu viens te moquer de moi ? m'interpella t elle d'une mine agacée
- Je ne m'amuse jamais de ta situation. lui répondis- je  d'un air outré. Je viens acheter ton pardon.
Son visage s'éclaircit et de l'excitation vient animer son regard:
- Tu m'as apporté de la tarte aux fraises !? s'écria t elle
Surpris par cette réponse je me retrouvai fort embêté lorsque je dû lui offrir mon piètre lot de consolation. Le bras accroché à la pierre, je tenta de dénicher la lettre de papier de ma poche puis la lui tendis.
Interrogée, elle l'ouvrit précieusement, détachant le cachet de notre famille de l'index puis accepta avec méfiance mon invitation avant d'enjamber le rebord de sa fenêtre. Nous avions une petite bergerie au fond du parc juste derrière une rangée d'immenses séquoia. Il y a longtemps qu'elle était restée abandonnée car l'ancien propriétaire s'était vu retirer ses terres à notre avantage. Cependant le bâtiment semblait persister dans le temps. La paille molle qui tapissait autrefois le sol avait pourrit laissant l'argile craquelée nous proposer la sécurité de sa solidité et la poussière de sa précarité.
Arrivée en son sain, je lâche la main d'Alice pour sortir une longue mâle d'un coin de la pièce. Dans un écrin, une petite épée se blottit dans sa boîte. Sur le pommeau un taureau rouge les yeux fumants représente le blason de notre famille et à l'arrière, marqué sur la lame, les initiales « A.S ». Ces lettres n'avaient rien de personnelles, tout comme l'arme que je finissais de sortir de son fourreau d'ailleurs. Elles se prêtaient à chacun de nous, passant de main en main comme une blague que nos parents avaient décidé de faire au monde en nommant chacun de leurs enfants par les deux mêmes lettres: Achil, Alex et Alice Stier. Mais bien que ce ne fusse pas le premier combat de cette épée, ce sera son premier dans les mains d'une fille. Et comme pour marquer cet affront au fer rouge, je sorti un couteau pour graver son nom en entier de telle sorte que jamais plus l'arme ne se voit réattribuée.
Alice se tenait au-dessus de mon épaule pendant que je m'attellai à la tâche. Elle discutait mon écriture grossière quand bien même elle n'aurait pas fait mieux. Lorsque j'eus terminé je lui tendis ce qui apparaissait dans ma main comme une pauvre dague mais qui retrouvait toute sa splendeur dans la paume novice de ma nouvelle apprentie. Prise d'agitation elle la fit tournoyer dans tous les sens, battant l'air comme si elle détenait non pas une épée de très grande qualité mais un gourdin massif. Alors, dégainant mon arme je fendis le moment d'un coup sec pour arrêter son imprudence. Ses mains se crispèrent sous le coup de la surprise laissant tomber l'objet au sol. Elle me lança un regard perplexe avant de comprendre le sérieux de mon invitation. Je ne lui proposais pas un simple combat pour la divertir mais bien un réel entraînement d'homme. Le même auquel je participe depuis plusieurs années et qui m'enverra au combat pour servir le royaume si la situation le demandait. Alors, d'un pas souple, je la mise en garde avant de corriger la posture raide qu'elle adoptait par réflexe, lorsqu'elle tentait de m'asséner un coup. La répétition l'usait et inondait son front de sueur si bien qu'elle put coller sa frange en arrière pour mieux y voir. Quant à moi, je tentais de la guider au mieux dans ses premiers exercices. Je ne l'avais jamais vu mettre autant de sérieux dans une activité. Les cours de musique auxquels on lui contraignait d'assister n'avait pourtant jamais éveillé en elle l'appréciation de l'art, alors pourquoi le sifflement terrifiant de la lame lui apportait la vocation du combat? Seulement, je me rendis compte trop tard de mon erreur.
Je lui avais donné une passion.

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