Chapitre 4: le baron Allevi

11 0 0
                                    

J'avais quatorze ans et donc officiellement le droit de demander la main à une femme même si j'étais encore mineur. Dans notre royaume, les hommes atteignaient la majorité à dix huit ans et à quinze pour les femmes, cependant rien ne leur empêchait de se marier plutôt. Si la famille du garçon était assez généreuse pour fournir une propriété aux jeunes époux, l'état royal acceptait même leur emménagement. Chose restreinte dans les royaumes voisins qui de toute manière ne voyait pas souvent passer l'union de deux personnes aussi jeunes.
Quitte à se qu'on me passe la corde au cou autant que je choisisse mon assassin pensais je en constituant la liste des potentielles jeunes femmes qui seraient déjà disposé à se marier. En réalité je ne connaissais pas les us et coutumes du mariage, cela ne m'avait jamais été expliqué, c'était un truc de fille. Et de toute manière, mon frère Achil m'aurait présenté un bon parti sans me demander quoi que ce soit, nous mariant dans la foulée. Mais si je souhaitais leur échapper au plus vite, je ne pouvais pas me permettre d'attendre sur lui.
Mon père sortait plus souvent au club ces derniers temps, il semblerait qu'il s'entende très bien avec le baron Allevi, un noble qui venait de réaménager dans la capitale après une décennie passée dans le sud ouest de la contrée à commander plusieurs dizaines de bateaux de marchandises, sillonnant les mers de toutes part. Son plus gros navire portait le nom de notre Dieu. D'après lui, c'est Coveiniss qui le protègerai, lui apportant abondance et chance. La rumeur courait tellement que le grand prêtre lui même avait voyagé pour parler avec le baron et bénir sa flotte, lui permettant en même temps de confirmer les bruits de couloirs, à son avantage. Alors comme une guêpe autour d'un festin, le baron Stier s'était à son tour intéressé et lié d'amitié avec ce drôle de bonhomme. Fumant des feuilles de thé, un verre à la main pendant qu'une ou deux danseuses circulaient entre les rangées d'hommes, un regard charmeur accroché à leurs visages, ils parlaient affaires et politiques. Puis s'avançant vers la table qui les séparait, ils se chuchotaient des paroles brûlantes, leurs yeux plongés dans les courbes des prostituées, ne se défaisant pas de leur spectacle. Alors à l'instar des fois précédentes, le baron Allevi souhaitait une bonne soirée à mon père avant d'aller profiter de la chaleur de ces femmes.
Retenez bien ça, dans notre pays, l'amour conjugal ne prime pas sur l'amour charnel. Autant controversé que cela puisse être pour les royaumes environnants, Coveiniss avait établi cette différence. Humble réincarnation des passions, l'adultère était fortement apprécié, parfois même encouragé par les hommes de la société qui n'avait plus de honte à mettre au monde des batards. En réalité ce droit non manuscrit n'existe que depuis peu. Neufs années pour être précis, soit l'âge de la fille du grand prêtre, issue d'une mère inconnue. Certain disent qu'il aurait supplié Coveiniss d'admettre l'existence d'enfants de cette sorte car sa femme ayant succombé à sa grossesse peu de temps avant la naissance du fruit de son peché, ne lui avait pas donné d'héritier. Certe, ce moyen, volontaire ou non lui a apporté l'enfant qu'il espérait, cependant pourquoi ne pas avoir simplement demandé à légaliser le re-mariage ? Cela aurait évité le remplissage décomplexé des orphelinats et des scènes de ménages à n'en plus finir.
Sur un moment d'absence pendant que je m'attelais à réussir à passer un ruban autour de mes cheveux, je crus entendre des bruits légers de pas dans les escaliers. Je m'immobilisais pour mieux écouter avant de me précipiter sur la porte, la détachant presque de ses gonds en l'ouvrant tant l'espoir de voir s'y tenir ma sœur me rendait euphorique. Mais lorsque je passais enfin ma tête de l'autre côté de l'encadrement je ne découvris que ma mère, l'air hébété, qui prenait grand soin de relever sa majestueuse robe pour descendre les marches. Lâchant ses tissus, elle s'étonnait: « Tu es déjà prêt ? » Pour seule réponse j'attrapais la veste posée sur mon lit et dévalait les escaliers à toute allure, pressé de me débarrasser de sa présence. Mais malheureusement pour moi, c'est Achil et mon père qui m'attendaient en bas, de dos, les mains jointes dans une telle similitude que j'aurais pu les confondre. En se retournant mon frère me lança un regard qui semblait me prévenir que je ne pouvais pas fuir bien loin, nous étions conviés chez ce fameux baron Allevi.
Dans le carrosse nous n'échangions aucun mot, chacun fixait son point dans l'espace. Aurions nous été des inconnus que le dialogue aurait été plus vivant de quelques mots de politesse ou de gêne face à l'autre. Je surpris mon frère Achil les doigts entrelacé sur ses genoux poussant un petit soupir d'ennui, le cou tiré vers la fenêtre du fiacre que nous avions réservé car plus distingué que le véhicule que nous avions chez nous. Il avait des épaules larges pour le jeune adulte de dix neuf ans qu'il était. La moustache écarlate dont il s'était affublé le vieillissait bien plus qu'il  le pensait, elle lui donnait des airs de grand père, notre grand père maternel, un célèbre perdant de pari qui dû retarder les fiançailles de sa fille car il avait perdu sa dot aux jeux. Fort heureusement, - ou malheureusement pour moi- mes parents étaient fous l'un de l'autre ce qui -au delà de leur poser  l'agacement de l'attente- ne compromis pas leur union. Je crois même que l'irritation qu'ils éprouvaient envers nous ne dépendait en aucun cas de nos actions mais bien de notre existence même. Notre naissance mit très vite un terme à leur tranquillité amoureuse transformant leur quotidien agréable en mélange fatiguant de braillement et de questions interminables. Toute leur attention n' était destinée qu'à l' être aimé, des lyriques par excellence qui ne laissaient aucune chance à leurs enfants de réussir à se glisser entre les lignes de leur épithalame. Ce mélange si complexe d'égoïsme et de dévotion m'était insupportable, comment réussir rejeter à ce point le fruit de son amour?
Malgré tout, je confesse, d'entre tous je suis le plus pathétique. Car leur amour je l'envie, je l'admire et m'adoucie. Leur dévotion brille tant que lorsque l'un des rayons s'échappe de sa trajectoire, qu'ils me montrent quelque peu d'affection, un baiser, un sourire, sans réfléchir je me mets à les aimer à nouveau.
Et en dépit de toute ma rancoeur, quand Achil lève les yeux vers l'immensité du paysage qui défile, que son regard se perd. Je l'imagine mon jumeaux, mon double, tous les deux chasseurs de rayons égarés.

Ma place Où les histoires vivent. Découvrez maintenant