Chapitre 2: Nos batailles

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En lui tendant mon cadeau, je m'imaginais la distraire de sa punition, peut-être même la discipliner et trouver un moyen de faire passer ses humeurs. Mais elle fait partie de notre famille et son tempérament appartient au combat. Alors, le piano ne jouera peut-être plus sous ses doigts et Achil en sera fort contrarié.
Lorsque nous avions fini, les poussières du sol s'étaient accrochées à nos vêtements et ma chemise blanche avait viré au brun, pendant que  la robe à froufrou orange de ma sœur s'était déchirée par endroits. Alice était brûlante d' efforts car elle n'avait jamais été habituée à faire du sport. Alors finalement, elle lâcha son épée et s'étala au sol les yeux fixant le plafond, elle déglutit:
    -C'est la chose la plus formidable que j'ai jamais faite de ma vie.
Je rangeais les lames dans leurs fourreaux en la regardant utiliser ses dernières forces pour mimer un combat imaginaire.Je ne sais pas si elle était trop fatiguée pour marcher mais je la pris dans mes bras pour la ramener à sa chambre. Il était presque l'heure du dîner alors  je fis venir discrètement une de nos servantes pour lui préparer un bain et des nouveaux vêtements. Je l'avais surmenée et par ma faute elle s'endormit pendant le repas, ce qui lui valut une nouvelle punition. La nourrice ne lâchait vraiment pas l'affaire.
Notre petit rendez vous dura plusieurs semaines. Elle s'améliorait lentement mais avec une volonté qu'auraient envié même les plus grands combattants. Je craignais cependant que mes conseils ne soient qu'obsolètes. Peut être pourrai je tenir au secret mon maître et l'inviter à participer à nos entraînements clandestins ? C'est un homme dur, je ne sais pas si c'est une bonne...
    -  Pourquoi tiens-tu autant à m'apprendre à me battre? demanda Alice allongée sur l'herbe caressant les pétales d'une pâquerette
    -  Comment ? m'exclamais je surpris d'avoir été interrompu dans ma réflexion
    -  Pourquoi est-ce qu'on s'entraîne? Articula t elle avec agacement
    -   Ça ne te plaît plus ?
    - Bien sûr que si! Je m'interroge juste sur ta récente motivation.
Elle marqua une pause dans sa phrase avant d'ajouter:
    - Est ce que c'est parce que j'ai menti en disant que je préférais Achil ?
Je souris face à l'absurdité de la question avant de déclarer:
    -  Je t'avais déjà répondu, mes oreilles m'ont supplié de te faire arrêter le piano
    -  Alex ! Cria t elle vexée
Je ricanais car je savais que mes paroles n'existaient que pour l'embêter. Mais mon sourire laissa place à de l'inquiétude quand elle commença à pleurer. Elle se tenait assise en tailleur, les mains froissant le bas de sa robe pendant qu'elle essayait de se contenir.
Mes yeux s'écarquillèrent. Je me relevais avec précipitation, redressant sa tête pour découvrir ses cheveux rouges collés à ses joues humides. Je m'en voulais de l'avoir blessé, j'ai revu Achil dans ma dérision. Un sentiment de dégoût m'arracha une grimace avant de la prendre dans mes bras. Elle devait arrêter de sangloter si elle voulait éviter de subir à nouveau le courroux de sa nounou qui rôdait aux alentours. Les dîners chez nous n'avaient rien de chaleureux. Des dizaines de bougies plongeaient la pièce dans un bain orangé pendant que la table se tapissait d'hors d'œuvres de toutes sortes, certes. Cependant, à l'inverse des familles que j'ai pu visiter, aucun des individus qui y participaient prenaient la peine de partager le déroulé de leur journée avec engouement ou de réagir, un verre à la main, aux éventuelles blagues parsemées dans la discussion.
Non. Dans notre grande maison, nos repas se rythmaient aux bruits incessants des couverts qui s'entrechoquaient, du son strident que fait le couteau contre l'assiette lorsque mon père découpait sa viande avec beaucoup trop d'entrain, la lourde mastication de ma mère puis les nombreux déglutissements de mon frère qui semblait toujours assoiffé. Mais ce que je supportais le moins dans cette ambiance, ce n'était pas tous ces petits bruits agaçants mais bien leur absence. Car lorsque nous patientions et que tout le monde avait posé ses couverts, le silence pesant bourdonnait à mes oreilles. Plus les secondes passaient, plus il augmentait en intensité poussant mon regard à se perdre dans l'espace de la pièce. Ce n'est pas qu'aucun de nous souhaitait rompre ce calme, mais nous n'en avions simplement pas le droit. Mon père assis au bout de la table était trop enfoncé dans sa lecture pour accepter un quelconque brouhaha et Achil trop faillot pour déroger à cette règle. Les domestiques qui volaient autour de nous devaient bien s'ennuyer pensais je, aucune information n'était jamais divulguée, auraient ils servi des fantômes qu'ils ne s'en seraient pas rendu compte. En revanche, cette fois, quelqu'un me sortit de mon sommeil. Alice tirait discrètement ma manche, je levais la tête pour découvrir la coiffe incongrue qu'elle avait fabriqué à l'aide d'une serviette. Elle était fière de son idée. Alors je souriais en lui donnant mon tissu pour qu'elle reproduise sa prouesse. Après quelques pliages elle disposa le chapeau sur mon crâne me transformant en vrai marine de la garde royale. Nous gonflions le torse avant d'expirer discrètement notre joie pendant que Achil nous toisait du regard. Il faisait des allées retour entre les mains d'Alice et nos couvre-chefs. Et alors que son regard s'intensifiait il serrait son poing de plus en plus fort avant de l'abattre violemment sur la table, produisant au passage un bruit sonore qui surpris tout le monde. Le chef de famille leva vivement ses prunelles pour venir les enfoncer dans notre peau, il brûlait de rage:
- Alex et Alice. Macha t il de toutes ses dents. Vous allez me faire le plaisir de sortir de table.
Bouche bée, on retirait les serviettes de nos têtes en se levant:
- On a rien fait de mal. Soufflais je furieux contre l'initiateur de notre malheur qui pendant ce temps, souriait de toute sa moustache en observant mon père.
Mais à mon plus grand malheur, j'avais sous-estimé la portée de ma voix et mes paroles allaient directement s'écraser contre les oreilles de mon père qui ne tarda pas à se lever en me criant de répéter plus fort ce que je venais de dire. Par peur je niais, ce qui l'énervait encore plus. Il se collait presque à moi avant de me secouer de toutes ses forces. Ma mère levait à peine les yeux pendant qu'Alice s'était écroulée au sol. Je n'osais pas me débattre priant d'avoir assez de courage pour lui tenir tête, en vain. Finalement il se lassa et m'abandonna comme on laisse un défouloir après l'avoir utilisé. Mes pas se faisaient vacillants et raides comme si des milliers d'insectes grouillaient dans mes muscles. Je ne pris même pas la peine de relever ma sœur, je souhaitais juste sortir de cet enfer au plus vite.

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