Je consulte rapidement mes derniers messages reçus alors que Brad s'incruste dans la circulation en direction du centre-ville. Deux nouveaux messages de Willa. Super, elle doit déjà être en train de me maudire de ne pas encore être arrivé. Je l'ignore. Parce que, primo, installer le matos, ça prend pas des heures et deuxio, c'est pas ma mère.
Je n'ai pas encore pris le temps de répondre aux commentaires sous ma dernière vidéo. En les faisant défiler, je constate que le nombre d'abonnés à encore augmenté. Au moins une chose qu'elle ne pourra pas me reprocher.
Sur le planning que mon agente a élaboré, je repère quelques soirées qui me font déjà chier. Des évènements VIP ou promotionnels pour des marques débiles, principalement. Comme ce soir, d'ailleurs, où on va encore galérer à capter l'intérêt du public, trop occupé à se noyer dans les coupes de champagne bon marché. Mais je prends ce qu'on me donne. Vivre de sa passion n'est pas donné à tout le monde, après tout.
En faisant défiler plusieurs vidéos postées récemment, le constat est clair. Celles qui marchent le mieux sont celles où on fait les abrutis avec Brad et Amir. J'avoue que ça a le don de me faire serrer les dents, même si ma reprise de « I Don't Want to Miss a Thing » d'Aerosmith a reçu un bon accueil des abonnés. Willa obtiendra peut-être enfin son foutu bonus, grâce à ça.
Depuis qu'elle a lâché les autres influenceurs pour se consacrer à mon compte, les chiffres sont meilleurs et notre musique commence à se faire remarquer. De toute façon, j'ai toujours détesté partager.
— Vas-y, avance !
Brad s'agace de la circulation qui nous empêche d'atteindre le centre-ville. En temps normal, il s'en serait peut-être balancé. Mais là, avec la passagère à l'arrière qui tient compagnie à ma Gibson, c'est une autre histoire. Je ne comprends toujours pas l'intérêt de faire monter des inconnus dans sa bagnole. Enfin, ouais... Le réchauffement climatique, tout ça.
En parlant de notre passagère, elle me donne presque l'impression d'être une clandestine dans la voiture. Je jette un coup d'œil dans le rétro et l'observe sans discrétion. Elle semble tellement stressée qu'elle pourrait rivaliser avec un flic avant une opération sous couverture. Elle gigote sans arrêt, tripote la lanière de son sac, regarde à gauche puis à droite, avant de recommencer. Ses cheveux châtain foncé sont attachés en un chignon strict qui lui donne l'air d'avoir dix ans de plus, mais ses grands yeux verts et son petit nez trahissent son âge. Je souris, malgré moi, en la regardant remettre, pour la troisième fois, son sac en place sur ses genoux couverts de collants à motifs. Et bon sang, ils sont absolument horribles.
Quand elle capte mon regard dans le rétro, son nez se fronce et elle détourne la tête pour regarder par la fenêtre, derrière laquelle les bagnoles s'agglutinent. Je crève d'envie de faire une remarque pour la taquiner, mais je m'abstiens pour éviter que Brad ne me reproche encore de faire fuir ses « clients ».
Lorsque nous atteignons notre destination, je déboucle ma ceinture et remercie Brad pour la course. Il m'adresse un salut militaire puis jette un œil vers la banquette arrière.
— Désolé pour le retard, mademoiselle. La circulation est dense à cette heure-ci.
Quel abruti. Lorsqu'on a un passager supplémentaire, il prend toujours cette attitude trop polie pour être honnête qui a le don de m'agacer. La fille lui adresse un sourire qui se veut compréhensif, mais son expression trahit l'agacement que nous partageons. La brune se débat avec l'attache de la ceinture avant de sortir du véhicule. Je l'imite et récupère ma guitare sur la banquette arrière. Juste à ce moment-là, mon portable se met à sonner. Je l'ignore, tandis que Brad reprend déjà la route pour aller se garer dans le parking sous-terrain du magasin où il bosse comme agent de sécurité en journée.
— Votre téléphone.
La nana est toujours là, me fixant avec ses grands yeux. Sa voix est juvénile, presque adolescente. En tout cas, une chose est sûre : elle est trop jeune pour porter des collants aussi dégueulasses.
— Votre téléph...
— Oui, j'ai entendu.
— Mais vous ne répondez pas.
Elle ne pose clairement pas une question. Elle constate, c'est tout. J'esquisse un demi-sourire et la sonnerie cesse enfin.
— Mais je ne réponds pas, répété-je en l'observant, amusé.
— Bonne journée.
Et elle se barre.
Je reste planté là comme un abruti, l'étui à guitare toujours en main, me demandant ce qui vient de se passer et d'où sort cette drôle de nana. J'ai cru qu'elle tentait simplement d'engager la conversation, mais non. Elle s'éloigne à pas pressés et s'engouffre dans l'entrée luxueuse du Victor Plaza. Je glisse la lanière de la housse sur mon épaule et lui emboîte le pas.
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Trouble Game
RomanceN''assumant pas ses troubles anxieux et compulsifs, Marcy peine à jouer selon ses propres règles. Au fil des années, son petit ami s'est peu à peu mis à prendre toutes les décisions à sa place, jusqu'à complètement enterrer sa personnalité. Lorsqu'...