Ce regard... je le connais.

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Et si le taureau me blesse ? Et s'il me tue comme le frère de Papito ? Et si je m'enfui ? Et si je le tue ? Et si ça me plaît ? Et si padre se fâche ? Et si j'en tue d'autre ? Et si je deviens un assassin ? Et si...
Les pensées du jeune homme s'entremêlerent sans qu'il ne parvint à toutes les comprendre. Néanmoins, ses yeux se brouillerent de larmes et il éclata en un sanglot incontrôlable mais silencieux, recroquevillé sur lui même dans un coin de sa salle de bain. Il pensa à cette histoire que son grand-père- Roberto- qu'il appelle Papito, lui avait raconté alors qu'Al lui avait demandé pourquoi ne s'appelait-il pas Alvarez comme le reste des toreros de la famille.
《Vois-tu, nieto*, -avait commencé Roberto- j'avais un grand-frère : Alvarez. De son nom complet Juan-Alvarez Salvador. Le jour de son Cambio de Bandera, quand la corrida a commencé, le taureau - un horrible animal féroce et immensément musclé - lui a foncé dedans. Il est mort sur le coup. J'avais 6 ans. En tant que cadet, j'ai pris la relève et je pensais à lui à chaque fois que je plantais mes armes dans la chair de ces bêtes. C'était ma vengeance, tu comprends ? Ma seule et unique vengeance. 》
Depuis, Al ne pût s'empêcher de penser que si Papito avait renoncé à la corrida, ni lui, ni son père n'auraient été embarqué dans cette histoire. Il aurait pu faire le métier de son choix, rien à voir avec sa destiné.
Al a toujours aimé les animaux. L'odeur du foin, le vent matinal qui fouette son visage alors que ses bottes patauger dans la boue, la rosée du matin, les premiers rayons chauds du soleil sur sa peau; les poules qui caquetent, les vaches qui broutent avec les chevaux... Il faut savoir qu'il a toujours été incapable de faire du mal à une mouche, alors assassiné un taureau ? Certainement pas !
L'esprit fermier, il l'a connu grâce au fromager/fermier/agriculteur chez qui il allait chercher le lait de vache tout frais pour la semaine, les lundi matins. Lui et Fernando - c'était le nom du fermier - avaient fortement sympathisé malgré leur différence d'âge et de statuts.
Fernando approchait les 70 ans, était grand, ridé et chauve ( élément qu'il cachait de son chapeau de paille, même par temps nuageux ). C'était un homme qui aimait les animaux, plus que tout. Surtout ses vaches. Or, le pauvre était contraint à donner ses taureaux aux Salvador. C'était Juan, l'ami de Señor Salvador, qui les sélectionnés. Tout deux se haïssaient au plus haut point. Cependant, le fermier était payé cher pour son "service de taureaux".
Al pensa à Fernando... Il allait devoir tuer un de ses taureaux. Il se rappela, il y a 3 ans, lorsqu'il l'avait aidé à mettre bas un des nombreux veaux de la saison. Il leva la tête, les joues baignés de larmes et les yeux rougis. Il les sécha d'un revers de manche et reprit calmement sa respiration. On toqua fermement à la porte :
《Alvarez Salvador Jr ! - c'était son père qui hurlait à travers les couloirs - Il est temps de mettre ton costume ! Dépêche-toi, il est bientôt l'heure !》
Al attendit que ses pas s'éloignent et jura entre ses dents. Il se releva tant bien que mal et fixa le costume de son père, le sien désormais, que son père avait déposé sur le porte serviette de la salle de bain, les jambes tremblantes. Il l'enfila - pas le choix - et se planta devant son reflet dans le miroir, grimaçant de dégoût.
Sa coiffe noire, la montera, recouvrait ses cheveux bruns d'une façon plus que ridicule; sa chaquetilla blanche ornée de dorures brodées et de maintes fleurs rouges, sentait l'odeur paternelle. En dessous de celle-ci, sa chemise blanche était trois fois trop longue pour lui et on pourrait lui voir le torse si sa veste de torero n'y était pas. Une cravate rouge lui serrait la gorge à lui en faire des marques de strangulation. Et puis, il y avait cette taleguilla - en office de pantalon - des mêmes motifs et coloris que sur sa chaquetilla, était remontée jusqu'à son nombril afin qu'elle ne tombe pas durant la cérémonie... et le reste. Néanmoins, le plus loufoque restaient ses épaulettes et ses chaussures rouges vives dont on voyait dépasser des bas colorés dignes des collants féminins. La honte !
Al se précipita soudainement vers la fenêtre et vomi tout ce qu'il n'avait pas avalé : de la bile. Il laissa quelques larmes glisser de ses yeux verts à ses joues, la bouche pâteuse, et se redressa.
《ALVAREZ SALVADOR JR ! Il est temps ! ¡ Vamos ! C'est l'heure Del Cambio de Bandera ! ¡ Sí !》
Al sursauta au son des hurlements de son père puis essuya ses larmes d'une main, avant de partir se brosser les dents, évitant soigneusement son reflet dans le miroir de peur de vomir à nouveau, ou pire, de pleurer devant le grand Señor Salvador.

Corrida & fils.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant