Un rayon de soleil chatouille l'entrée de la grotte et un menuet entraînant retentit dans l’oreille interne de Laly.
Le soulagement l'envahit.— La tempête s'est calmée, murmure-t-elle, réveillant doucement ses compagnons. La musique joue à nouveau tranquillement. Nous allons pouvoir avancer.
< Ta cheville ne te fait plus souffrir ?
> Nous l'aiderons, même si elle ne peut pas courir.Le groupe suit la carte et continue son épopée en terre inconnue. Les débats sur l'attitude à adopter en face du Chef d'orchestre font rage, mais Laly n'écoute plus, subjuguée par des notes qu'elle n'avait encore jamais perçues. Cette douce barcarolle, produite par le flux et reflux d'une onde magnétique, la fascine. Elle observe le mouvement hypnotique d'un liquide intrigant et avance vers lui, poussée par une force surnaturelle. Le sol granuleux s'enfonce sous ses pas, réveillant sa douleur à la cheville, pourtant, elle le remarque à peine devant le spectacle qui s'étale à perte de vue. Son instinct l'entraîne jusqu'au rivage où l'écume épouse le sable. Elle retire ses chaussures. La fraîcheur de l'eau sur sa peau la saisit. La sensation est incroyable. Elle inspire profondément les embruns et se laisse porter par le roulis des vagues.
< As-tu déjà vu pareille merveille ?
> Ces eaux sont un don du ciel.Laly reprend contact avec la réalité et s'aperçoit que ses amis l'ont rejoint sur la plage, tout aussi captivés par cette splendeur.
— Voici la mer Lodia, dia ! Il nous faut maintenant trouver l'île de Fa, fa !
< Comment traverser ? N'y a-t-il pas une autre voix ?
> Je ne vois rien, à part ce tas de bois.
— C'est parfait. Construisons un radeau, s'empresse Laly, impatiente de braver les flots enchanteurs.Les compagnons embarquent sur le frêle esquif et une toute nouvelle envolée lyrique commence pour eux. Ils prennent le large, fiers de leur invention, profitant de l’accalmie pour mettre le cap en direction de cette île mystérieuse.
* Lento *
Ils se rapprochent. Je peux les entendre. Je peux les sentir. Malgré les obstacles qu'ils ont dû affronter, ils n'ont pas renoncé à leur folle idée de sauver l'humanité, de sauver l'univers. Folle, car ils sont persuadés de leur réussite, mais surtout parce qu'ils ignorent la finalité de ce test.
Il y a longtemps que la raison a quitté ce monde, et même si je n'en fais pas totalement partie, je n'en suis pas non plus exclu.
Leur bravoure m'impressionne. Ou peut-être est-ce de l'inconscience ? C'est là, le propre de l'humain. Cependant, bien que j'aie choisi tout ce qui arrive, je n'ai pas la possibilité de les laisser m'atteindre si facilement. Tout doit se passer comme prévu.
Ma baguette vacille de gauche à droite dans un mouvement lancinant, suivant toujours les instructions à la lettre.L'onde paisible se transforme en houle agitée. Les matelots n'ont pas le pied marin. La nausée les saisit un à un. Laly n'est plus aussi sûre de vouloir affronter l'océan. Son chant angélique, si enivrant sur la terre ferme, se mue en lamento, à mesure de leur avancée.
* Andante *
Bientôt, les gémissements ne sont plus que cris de désespoir alors que le ciel s'assombrit dangereusement. Les lames sévissent sur la coque de l'embarcation qui menace de chavirer à chaque ballottement. Cassy et Robin, désemparés par cette force de la nature, s'amarrent l'un à l'autre. Paulin, aussi blanc que leur voile de fortune qui tangue au gré du vent, en fait de même avec Laly.
Les regards éperdus s'observent, persuadés de se croiser pour la dernière fois. Leurs hurlements se mêlent à ceux de Lodia.* Allegro *
J'assiste à la scène du fond de ma montagne. Même si je connais la chanson, son refrain déchaîné électrise mes sens. Mon ouïe, plus aiguisée que jamais, est à l'affût de chaque nouvelle note que joue l'univers. J'aimerai résister à cet envoûtement. Je dois garder l'esprit clair. Je ne souhaite pas que ces jeunes périssent ainsi. J'ai encore besoin d'eux. Les doigts blanchis autour de ma baguette, je valse dans une frénésie dantesque, hésitant entre une accalmie ou un raz de marée.
* Presto *
Mais je n'ai pas le choix. Je ne peux pas résister à la partition qui s'écrit devant moi. Possédé par la rhapsodie, ma main se lève jusqu'au plafond voûté de ma caverne.
Un bras de mer gigantesque jaillit des eaux tumultueuses. Il s'immobilise un instant, attendant mon ordre.
Je ferme les yeux et abaisse la baguette dans un mouvement circulaire en espérant secrètement que le groupe s'en sorte indemne.
Le rouleau avale le radeau, ses passagers avec. La vague éclate d'une musique effervescente jusqu'à ce que la dernière note s'envole. Le calme retombe en soufflet.
* Silencio *
*
Lodia redevient limpide. Le ciel découvert, le soleil reflète la lumière de ses pigments pourpres. Seul un léger clapotis vient troubler le calme de l'horizon.
Le voilier n'est plus qu'une épave engloutie par les fonds marins, mais dans un sursaut de survie, les passagers sont parvenus à rejoindre les débris flottants avant de couler avec lui. Depuis, ils errent au hasard des courants, attendant un miracle.
La chaleur les accable. La soif les tenaille. L'oppression du silence les étouffe. La souffrance est si grande que Laly espère juste que la mort achève leur calvaire au plus vite.C'est à mon tour d'intervenir.
Ma baguette frétille.La désolation est à son comble lorsqu'un léger sifflement réveille la jeune femme. Un son aigu si faible qu'il ne parvient pas à la sortir de son état léthargique. Puis une note plus grave et insistée suivie d'un craquement étrange la font papillonner des cils.
Plusieurs coups font tanguer la planche où elle est accrochée. Cette fois, Laly reprend conscience. Elle se redresse et scrute chaque mouvement sous la surface. Une ombre semble les épier.— Il y a quelque chose sous l'eau.
Ses amis remuent à peine, mais elle les éclabousse un à un lorsqu'une longue corne opaline émerge face à elle.
— Réveillez-vous ! Regardez ! Quelle est cette étrange créature ?
Devant nos compagnons étourdis, un cétacé majestueux sort sa tête de l'eau, une longue corne pailletée sur le front.
— J'ai étudié cette espèce de narval, l'an dernier, nier ! Mais c'est impossible d'en trouver ici. Ils ne vivent que dans les mers de glace, lace !
La licorne de mer s'agite, se tortille, se dandine, face à l'intérêt que sa présence suscite auprès des humains. Son récital de castra, parfois comparable au chant des oiseaux, se répercute dans le conduit auditif de Laly jusqu'à son oreille interne. Les impulsions électriques s'activent dans son cerveau et sa matière grise fait le reste :
— Il essaye de nous parler, affirme-t-elle. Il veut nous montrer le chemin.Robin, assis sur son radeau de fortune et armé d'une rame, n'est pas de cet avis :
> Je le trouve plutôt effrayant.
< Tu crois vraiment qu'il nous attaquerait en dansant ?Pour montrer sa bonne foi, l'animal claque de la langue et bat des nageoires, les incitant à la confiance.
— Il veut qu'on s'agrippe à lui.
— Suivons-le. Nous verrons bien, hein ! Cela ne peut pas être pire que maintenant, nan !Puisant dans leurs dernières forces, les amis s'accrochent au narval aux plumes émeraudes. Le poids des passagers ralentit à peine l'animal qui fuse si vite à la surface qu'il paraît voler sur une fugue endiablée. La côte se dessine en quelques minutes.
— Terre en vue ! s'exclame Laly, plus heureuse que jamais à l'approche de l'île salvatrice.
La joie d'échapper à une mort pourtant certaine se dessine sur le visage des naufragés. Ils acclament la licorne qui les salue à son tour, heureuse d'être venue en aide à des créatures en détresse. Elle s'éloigne vers l'horizon avec la légèreté d'un oiseau, bien qu'elle dépasse sûrement la tonne, et ses notes gracieuses accompagnent ses nouveaux amis jusqu'à disparaître.
Les compagnons se retournent pour se confronter au chemin restant et leur engouement déchante. L'île n'est qu'un vaste volcan dont l’épaisse fumée sort du cratère, formant un tourbillon de volutes qui se déploie sur un air macabre.
— Aucun doute. Nous voici sur l'île de Fa, fa !
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Ritournelle de l'univers (En la mineur)
Short StoryEt si l'univers changeait de mélodie ?