Riposte

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Je l'ai frappée, encore et encore, jusqu'à ce que je ne la sente plus bouger ; jusqu'à ce que mes doigts s'engourdissent autour de ce caillou qui semble maintenant leur être greffé. La foule acclame notre prouesse d'avoir réussi à anéantir, sans véritables armes, un éveillé. Épuisé, je reste un court instant scotché sur cette bouillie informe qui était, auparavant, un visage si charmant. J'ignore si Abbie était encore douée d'une certaine forme d'humanité. D'un côté, ça vaudrait mieux pour elle que sa conscience se soit définitivement envolée avant de se voir mourir d'une manière si atroce... J'ai déjà été contraint de tuer par le passé, mais je ne veux jamais avoir à me considérer comme un assassin. Tant qu'il me restera un espoir de survie dans mon périple, la culpabilité ne doit pas marcher plus vite et me rattraper...

Isaac lâche prise, soulagé de l'issue que connaît cette lutte qui lui a beaucoup coûté. Nos respirations jouent une sonate bruyante, là où des clameurs résonnent dans les gradins.

Avec l'absence totale de souplesse, qui permet encore d'actionner mes membres ankylosés, je me relève pour prendre la température des figurants de cette épreuve infernale. L'ambiance a définitivement tourné à l'euphorie. Certains agitent, sous le nez des envieux, quelques liasses de billets qui ne valent plus rien. L'argent n'a plus cours quand le seul commerce qui subsiste dans l'anarchie la plus totale est un semblant de troc. Après tout, peut-être se sentent-ils pour une fois privilégiés d'avoir cette impression d'être riches ?

Je perçois des rires qui se transforment, pour certains, en ricanements. La foule s'agite. Elle en veut encore. De la violence naît la violence et le sang appelle le sang.

Dans tout ça, le pire reste le voyeurisme...

– T'as eu ce que tu voulais, hein ? Regarde ce que tu as fait !

Je m'égosille pour que ce mégalo m'entende. Pour que son orgueil soit au moins égratigné d'avoir ordonné le sacrifice de cette innocente qui avait encore toute la vie devant elle.

De son côté, Noah ne montre aucun remord particulier. Il continue de camper fièrement une posture délétère, sa paume dirigée vers ses chiens de garde, pour les soumettre à sa volonté de nous épargner. Un signal de sa part et ils n'hésiteront pas à presser la détente. Au moins, ce connard peut se vanter de s'être constitué une belle basse cour où il demeure le seul coq souverain.

Et puis, parfois, c'est avec une seule étincelle qu'on allume la flamme qui produira le plus puissant des brasiers.

Si mon ancien compagnon de chambrée et de galère contemple son œuvre avec le silence de la satisfaction, Isaac s'est relevé. Alors, ce n'est pas un cri mais un déchirement guttural qui a secoué l'enceinte de cette asile pour psychopathes. Tandis que je continuais à défier du regard celui qui n'avait désormais même plus la décence de me regarder, mon allié s'est précipité au chevet de celle qu'il n'avait pas su protéger...

– Sam ! Hé ! C'est bon ! Tout est terminé...

Il ne veut pas admettre l'évidence qui lui a pourtant tout de suite sauté aux yeux. L'adolescente a succombé à la gravité de ses trop nombreuses blessures.

Or, quand la réalité fait trop soudainement surface, la sensation est bien pire que celle de se faire arracher le cœur à mains nues.

– C'est toi le responsable ? Descends !

Sa rage est si forte qu'il n'arrive pas à pleurer. Pourtant, je sens qu'une profonde tristesse lui étreint la gorge. Ses joues sont devenues si rouges, qu'il apparaît prêt à exploser.

Noah ne bronche toujours pas. La hauteur lui donne l'ascendance et la certitude de rester intouchable.

Ne sachant pas quoi faire d'autre face à tant de méprise, il attrape la pierre ensanglantée que j'avais laissée près du cadavre d'Abbie et la lance de toutes ses forces sur le balcon.

– Descends, j'ai dit !

Son état ne lui permet pas un tir précis. Le projectile va s'écraser contre la rambarde sans attendre sa cible.

Un affront que Noah est incapable de supporter. Alors que je l'ai totalement perdu dans les méandres de la folie dont il s'est épris, je parviens encore à analyser certaines de ses expressions. Il n'est plus dans le dédain le plus total, mais dans les représailles. Je me dois de réagir vite, très vite, avant que le signal ne soit donné.

– Non ! Il y a eu assez de morts pour aujourd'hui !

J'attrape son bras avec fermeté pour l'attirer vers l'endroit qui me semble être notre seul espoir. S'il tente, au premier abord, de se débattre, ma volonté finit par se montrer plus forte. La porte par laquelle l'éveillée a pénétré l'arène n'a pas été refermée. Elle a coulissé sur son rail, avec un ingénieux système de poulies, avant d'être complètement oubliée par les techniciens de cette représentation macabre. Personne n'est censé survivre, avec les moyens du bord, à une créature à la férocité aussi débridée. Alors, pourquoi se soucier d'une éventuelle tentative d'évasion ?

Et j'avais raison... Une pluie de balles salue notre sortie, comme des applaudissements, alors que nous nous engouffrons dans cette gueule béante, par la sortie des artistes. Noah a coupé court à sa trêve, accordant désormais tous ses crédits à notre future guerre...

OrionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant