Metorite - axe n°3

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Je ne veux pas ouvrir les yeux. À quoi cela peut bien servir de se réveiller si on a perdu tout espoir de vivre ?

Mais les autres dehors ont besoin de moi. Ils ont besoin des bénévoles, de leurs soins. Je ne peux pas me montrer égoïste.

Ma nuit s'est trouvée agitée. C'était ma première nuit en dehors de l'infirmerie, dans une véritable chambre.

Et pourtant, ça ne m'a pas aidé à trouver le sommeil pour autant. J'ai été pris d'innombrables crises d'angoisses, toute plus violente les unes que les autres. Je ne pouvais pas ouvrir les paupières, ni même bouger. J'étais paralysé.

Je suis sûr que Soobin m'a entendu. Parce qu'il s'est levé. Il s'est accroupi à mes côtés, pour saisir délicatement ma main dans la sienne et éponger mon front.

Je lui en veux pour ça. Parce que je n'arrive plus à le détester tout simplement. Peut être que ça va trop vite, je ne sais pas. Ou alors j'ai tout simplement besoin de m'attacher à quelque chose, une présence humaine. Pour oublier ma peine. Pour oublier ce trou dans mon cœur qui ne cesse de s'agrandir.

Je me redresse enfin dans mon lit. Soobin n'est plus là, son lit est fait, les draps sans un pli. Il a toujours été comme ça, trop organisé si bien que ç'en devient maladif.

Je pose mes pieds sur le sol froid, un rictus étirant ma bouche. Je n'arrive pas à pousser sur mes jambes. Mon corps est trop lourd.

La porte s'ouvre en grand sur mon corps pathétiquement posé sur le lit. Je dois avoir l'allure d'une poupée de chiffon. Je me fais pitié.

Soobin s'accroupit en face de moi. Je baisse la tête, je refuse qu'il puisse deviner que je souffre. Que je ne suis pas quelqu'un de fort.
Sa main attrape la mienne et je le laisse faire. Je m'en veux. Mais je le laisse faire.

- Tu vas bien ?

Non.

- Oui.

Il n'est pas convaincu mais il a la politesse de me laisser tranquille. Ma raison reprend le dessus et je me dégage brusquement de sa poigne, si bien qu'il manque de tomber à la renverse.

Je suis pris d'une force que je ne soupçonnais pas et me mets sur mes pieds. Ses yeux sont écarquillés. Il ne s'attendait pas à ça je suppose.

Sans émotion, je traverse la chambre et sors dans le couloir. Dehors, l'agitation est présente. Kai arrive comme un boulet de canon sur moi, blouse en main.

- Tiens, faut que tu mettes ça. Il est où Soobin ?
- Dans la chambre, pour-...
- Ok ok, juste dépêchez-vous. On doit allez au nord de la ville pour aider plusieurs victimes.

Et il repart aussi vite qu'il est arrivé. Au même moment, Soobin fait apparition dans le couloir, à mes côtés. Il se penche vers moi, et je me recule.

- Je prends juste une blouse.

Ses grandes mains attrapent délicatement le tissu, frôlant les miennes au passage.

- On se retrouve dehors.

Et il s'en va, le léger bruissement du tissu accompagnant ses mouvements.

×××

Je ne sais pas comment décrire ce que je ressens en arrivant sur les lieux. Tour est ravagé, absolument tout.

Plus aucune trace de vie. Et c'est franchement flippant.

Il y a un groupe de courageux devant. Je n'en fais pas parti. J'ai peur de ce que je peux trouver à travers les décombres. Peur de voir des visages sans vie, ou pire, des gens à l'agonie. Je ne veux plus revivre ça. Je ne suis pas prêt.

On m'appelle pour distribuer des vivres à ceux que l'on a pu extirper des gravats. Je pousse un soupir de soulagement. Ça ne doit pas être si difficile.

J'attrape des sacs de nourriture ainsi qu'une trousse des premiers secours.

Finalement, c'est encore pire que tout ce que je croyais. Je pensais naïvement que nourrir des blessés serait moins difficile, mais ça ne l'est absolument pas. Ma gorge se serre soudainement.

Quelle horreur.

Ils doivent être une dizaine par couverture. Une dizaine. Je ne pensais pas voir ça, un jour dans ma vie. Jamais.

Je suis trop lâche. Trop lâche parce que je sors. Et j'abandonne tout le monde.

Je pars me cacher dans un coin, je ne veux pas qu'on me trouve. Des bruits de pas s'approchent de moi et je me fais encore plus petit.

C'est Soobin. Qui, sans rien dire, s'asseoit à côté de moi et me prends dans ses bras.

×××

Trois semaines.

Trois semaines que je suis là.

Trois semaines que Yeonjun est mort, et que je ne trouve pas le sommeil.

Je ne pensais pas, à aucun moment, que ma vie basculerait à ce point. Parfois je me demande ce que j'ai fais pour mériter ça.

Une bouffée d'angoisse me saisit la gorge, et je ne sais pas d'où elle vient. Ça vient, ça pars, et ça revient. Encore et encore.

- Taehyun ?!

J'ai dû faire du bruit, car Soobin s'est réveillé. Il vient me voir, se pose sur ma couchette.

- Je peux ?

Je hoche la tête et il me prend doucement la main. Mon cœur s'emballe.

- Qu'est ce qu'il t'arrive ?
- Je... fais des cauchemars. C'est tout.
- Tu veux pas en parler ?

Je sonde son regard. Il a l'air inquiet. Mais ce n'est pas ça qui me préoccupe. Ce qui me fascine, c'est qu'il n'a pas changé. Son visage est toujours le même. Celui que j'ai aimé.

- Je sais pas Soobin.
- Tu veux peut être que je te parle un peu de moi ?

Je hoche une nouvelle fois la tête et lui fais une petite place à côté de moi, sous la couette. Je ne sais pas à partir de quel moment j'ai cessé de le détester. Peut être quand j'ai compris que rien n'était sa faute.

- Je ne suis pas ici par hasard. Je voulais te revoir.

Il tourne la tête vers moi, et je peux voir un léger sourire se dessiner sur ses lèvres.

- Avant de partir, moi et ma femme, on s'est disputé. Elle m'a dit que je n'avais plus rien à faire avec elle, que je pouvais partir te retrouver.

Il marque une petite pause, soudain ému.

- Je suis parti, ce soir , sur un coup de tête. Pour te retrouver. J'ai laissé ma femme et ma fille derrière moi. Et c'est ce soir que la pluie de météores a débuté. Elle a frappé mon village en premier. Aucun survivant.

Il renifle et je lui tends un mouchoir, les mains tremblantes.

- Pourquoi t'es parti pour moi ? T'aurais pu rester bas avec elles.
- Parce que... je me suis rendu compte que... je sais pas... Eunbi et moi, c'était pour faire plaisir à ma mère. Je ne l'ai pas aimé comme toi je t'ai aimé, Taehyun. Jamais.

Mes yeux s'écarquillent tout seul, sans que je ne contrôle mes muscles.

- Bonne nuit.

Et il repart aussi vite qu'il est venu.

MeteoriteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant