La légende du lac d'Annecy

La légende du Lac

Le soleil se levait à peine sur le lac d'Annecy, enveloppant le paysage d'une lumière dorée qui dansait sur les eaux cristallines. Les montagnes environnantes projetaient leurs ombres imposantes, et une brume légère flottait au-dessus de l'eau, donnant à l'endroit une aura mystérieuse. Malgré cette beauté sereine, la commissaire Florence Cassandre sentait un malaise grandir en elle. Il y avait quelque chose d'étrange ce matin-là, quelque chose qu'elle n'arrivait pas à saisir.

Florence Cassandre était une femme de tête, une commissaire chevronnée qui avait vu plus que sa part de tragédies et de mystères. Pourtant, l'appel qu'elle avait reçu à l'aube avait éveillé en elle une inquiétude qu'elle n'avait pas ressentie depuis longtemps. Le corps sans vie d'une jeune femme avait été retrouvé flottant près de la rive du lac, dans une zone pourtant réputée calme et sûre. Pas de papiers d'identité, pas de téléphone, aucun indice apparent pour savoir qui elle était ou ce qui avait bien pu lui arriver.

En se garant sur la berge, Cassandre aperçut déjà plusieurs voitures de police, ainsi que les gyrophares rouges et bleus des véhicules d'intervention. Des badauds curieux s'étaient rassemblés, tenus à distance par les rubans jaunes tendus autour de la scène de crime. Elle sortit de sa voiture, les talons de ses bottes émettant un son sourd sur le sol mouillé.

- « Commissaire, » salua une voix masculine qu'elle connaissait bien.

Le capitaine Pascal Roche se tenait près du ruban de sécurité, son regard sombre scrutant les environs. Cassandre sentit une vague de chaleur l'envahir en le voyant, une sensation qu'elle s'efforça aussitôt de refouler. Depuis son arrivée à Annecy, elle et Roche avaient souvent travaillé ensemble, et au fil des mois, une complicité silencieuse s'était installée entre eux. Mais cette proximité la troublait, tout comme elle semblait troubler Roche. Une distance invisible, presque palpable, semblait les maintenir l'un et l'autre à l'écart, comme si une force inconnue les empêchait de franchir une certaine limite.

- « Capitaine Roche, » répondit-elle en hochant la tête, tentant de garder une voix neutre. « Que sait-on jusqu'à présent ? »

Pascal Roche lui fit signe de le suivre. Ils s'éloignèrent de la foule pour se rapprocher du bord de l'eau, où une équipe scientifique était déjà à l'œuvre, prenant des photos et prélevant des échantillons.

- « C'est une jeune femme, probablement dans la vingtaine, » expliqua Roche. « Aucune trace de violence apparente, mais il est encore trop tôt pour en être sûr. L'identité est un mystère pour le moment. Aucun papier, rien. C'est comme si elle avait été déposée là, sans laisser de trace. »

Cassandre fixa le corps, un frisson parcourant son échine malgré la chaleur estivale qui s'installait progressivement. Il y avait une étrange sérénité sur le visage de la victime, comme si elle s'était endormie. Mais cette apparence paisible ne faisait que renforcer l'aura de mystère qui entourait cette affaire.

- « Et ce n'est pas tout, » ajouta Roche, sa voix légèrement hésitante.

Cassandre tourna la tête vers lui, intriguée. Il semblait troublé, ce qui était rare chez cet homme généralement impassible.

- « En interrogeant les riverains, certains ont mentionné... la légende du lac, » continua-t-il, le regard fuyant légèrement celui de Cassandre.

- « La légende du lac ? » Cassandre haussa un sourcil. Elle connaissait la légende, bien sûr, comme tout le monde à Annecy. Une histoire ancienne, racontée aux enfants pour les effrayer, ou aux touristes pour les fasciner. Mais il ne s'agissait que d'un conte, rien de plus.

- « Oui, » répondit Roche, mal à l'aise. « Apparemment, certains croient que la jeune femme pourrait être liée à cette vieille histoire. Une malédiction, un esprit vengeur... Vous savez comment les gens sont avec ce genre de choses. »

Cassandre soupira intérieurement. Elle n'était pas du genre à accorder de l'importance à de telles superstitions, mais elle savait aussi que ce genre de rumeurs pouvait rapidement semer le trouble dans une enquête. Elle se tourna vers Roche, décidée à écarter cette piste farfelue.

- « Nous devons nous concentrer sur les faits, capitaine, » déclara-t-elle avec fermeté. « Peu importe ce que disent les légendes, il y a une explication rationnelle à cette mort, et c'est à nous de la trouver. »

Roche acquiesça, mais Cassandre ne put s'empêcher de remarquer une lueur de doute dans ses yeux. Elle connaissait l'attachement de Roche à cette région, à ses histoires et ses traditions. Pour lui, la légende du lac n'était peut-être pas seulement un conte pour enfants, mais une partie de son héritage, de son identité.

- « Vous avez raison, » répondit-il finalement. « Concentrons-nous sur les faits. Mais... il y a quelque chose de troublant dans cette affaire, quelque chose qui me dit que ce ne sera pas une enquête comme les autres. »

Cassandre le regarda attentivement, sentant une tension sous-jacente dans ses paroles. Elle ressentait la même chose, même si elle refusait de l'admettre ouvertement. Depuis le début, cette affaire lui paraissait différente, plus sombre, plus complexe. Mais elle ne pouvait se permettre de montrer ses doutes, pas devant son équipe, et encore moins devant Roche.

- « Quoi qu'il en soit, nous devons avancer, » déclara-t-elle en se redressant. « Je veux un rapport complet sur l'autopsie dès que possible, et faites fouiller la zone. Il faut découvrir qui est cette jeune femme et comment elle a fini ici. »

Roche hocha la tête, mais son regard restait fixé sur le lac, comme s'il cherchait des réponses dans ses eaux profondes et mystérieuses. Cassandre le laissa à ses réflexions et se dirigea vers le reste de l'équipe, le cœur plus lourd qu'elle ne l'aurait voulu.

La journée passa, ponctuée de discussions avec les techniciens, de coups de téléphone et d'interrogatoires des résidents locaux. Les heures s'étiraient, mais le mystère restait entier. Qui était cette femme ? Comment était-elle morte ? Et pourquoi certains semblaient si convaincus qu'il s'agissait de l'œuvre d'une force surnaturelle ?

En fin de journée, alors que le soleil commençait à décliner, Cassandre se retrouva à nouveau sur les rives du lac, le regard perdu dans l'immensité bleue. Roche était à ses côtés, silencieux. Elle sentait sa présence à quelques pas, presque réconfortante dans cette atmosphère lourde.

- « Vous y croyez vraiment, à cette légende ? » demanda-t-elle soudain, rompant le silence.

Roche mit un moment à répondre. Quand il parla enfin, sa voix était empreinte de gravité.

- « Je ne sais pas, Commissaire. Mais ce que je sais, c'est que le lac a vu bien des choses au fil des siècles. Et parfois, les légendes ne sont que des vérités oubliées. »

Cassandre frissonna, non pas à cause du froid, mais à cause de ce qu'elle devinait dans les paroles de Roche. Il y avait une part de vérité dans chaque légende, peut-être. Et cette vérité, quelle qu'elle soit, les attendait quelque part dans les profondeurs du lac.

Mais pour l'instant, elle préférait ne pas y penser. Il y avait déjà assez de mystères à résoudre sans s'attarder sur des contes d'outre-tombe. Pourtant, en s'éloignant du bord, elle ne put s'empêcher de jeter un dernier regard à la surface du lac, se demandant ce qu'elle cachait vraiment.

Et tandis qu'elle s'éloignait, elle sentit le regard de Roche sur elle, lourd de sentiments inavoués, de questions non posées. Peut-être qu'au-delà de l'enquête, ils devaient aussi affronter ce qui se passait entre eux, cette tension palpable, cet interdit qu'ils n'osaient franchir. Mais pour l'instant, il y avait une jeune femme à venger, une vérité à découvrir. Le reste pouvait attendre, encore un peu.

Mais pas pour toujours.