L'obscurité était mon domaine. Les égouts étaient ma maison. Contrairement à Morgane, je n'avais jamais eu peur du noir, moi.
J'étais Colin de la Havette, le Roi de la Vermine, et j'étais ici chez moi.
Et puis, je n'étais pas seul. J'avais des amis. Des centaines d'amis qui m'obéissaient au doigt et à l'œil, qui m'informaient de tout ce qui se passait en surface.
Aux yeux de beaucoup, les rats ne sont que des simples vermines, vectrices de maladie. Moi, je savais que ce n'était pas le cas. Ils sont infiniment plus intelligents et débrouillards que nous ne l'imaginons. Or, je pouvais communiquer avec eux. Ils grouillaient dans les rues de la ville, comprenaient la moindre parole échangée et me rapportaient ensuite tout ce qu'ils entendaient ou voyaient.
C'est comme ça que j'eus vent de l'évolution des tragiques événements qui se déroulèrent entre le printemps et le début de l'été de l'année 2083.
Morgane était partie. Cela, je le savais déjà. Elle avait été contrainte de suivre ces hommes dans leur expédition meurtrière contre les Macrâles, bien loin de Liège et de moi.
J'avais peur pour elle. Ni moi ni les rats ne parvenions à comprendre ce que l'Inquisiteur avait derrière la tête en l'envoyant prendre part à un voyage aussi dangereux. Saturnin était également parti, en compagnie de plusieurs de ses chevaliers. Mais ce qui me terrifiait le plus, c'était la présence de celui qu'on nommait le Seigneur Fidanza. Les rats, fins connaisseurs de l'âme humaine, étaient unanimes : il s'agissait d'un homme au cœur noir, dépourvu de toute morale. En clair, Morgane courait un grave danger à côtoyer un tel individu. Pourtant, je ne pouvais rien faire d'autre qu'attendre. Attendre qu'elle revienne en priant pour qu'il ne lui arrive rien de fâcheux. Hormis les rats, Morgane était la seule amie que j'aurai jamais. C'est peu dire que je tenais à elle. Si quelqu'un s'avisait de lui faire le moindre mal, il le paierait cher.
J'en avais fait le serment. Pourtant, je voyais défiler les jours et les semaines sans qu'aucune nouvelle de Morgane ne me parvienne. Des rumeurs de plus en plus insistantes couraient, selon lesquelles Saturnin avait péri avec le reste de l'expédition. Je pris alors la décision d'envoyer quelques rats en direction de la plaine de Hesbaye, les priant de revenir vite, porteurs d'informations, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. J'avais besoin de savoir.
Alors que j'attendais le retour de mes éclaireurs, rongé par l'angoisse, me parvinrent les échos de la grande colère qui grondait en terres liégeoises.
Dans les années qui suivirent le Grand Effondrement, la disparition à peu près complète de toutes les infrastructures industrielles laissa la plupart des survivants dans l'incapacité de trouver la moindre source d'énergie pour se chauffer. L'électricité n'était plus qu'un lointain souvenir et on évitait comme la peste les centrales nucléaires laissées à l'abandon, car on les craignait. La coupe du bois était devenue la seule alternative crédible au problème énergétique. Toutefois, des hommes ne tardèrent pas à comprendre le bénéfice qu'ils pourraient tirer de cette situation. Ils décrétèrent que les bois et les forêts qui entouraient Liège étaient leur propriété et que nul ne pouvait y prélever du bois sans leur autorisation, sous peine de mort. Ces hommes exigèrent naturellement des contreparties exorbitantes en échange de quelques misérables bûches.
D'autres se souvinrent alors, non sans avarice, que le sous-sol de la région liégeoise regorgeait de charbon, ne demandant qu'à être exploité. Cela faisait des décennies que l'industrie minière avait cessé de fonctionner, mais les anciens puits n'avaient jamais été rebouchés, comme autant de plaies béantes creusées dans le ventre de la Terre.
Petit à petit, grâce, ou à cause, de la complicité d'érudits férus de science et de mécanique, tels que Théodule Ravagnan, les anciennes exploitations minières reprirent peu à peu du service. C'est ainsi que de nouvelles légions de gueules noires, sans cesse plus nombreuses, se constituèrent, prêtes à replonger dans l'enfer des fosses.
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Macrâle: l'enfance d'une sorcière de Belgique
FantastiqueMacrâle: mot issu du wallon liégeois, désignant familièrement une sorcière. Mais comment devient-on Morgane la Rouge, la plus redoutable d'entre elles? Ce nom murmuré avec crainte, ce conte terrifiant chuchoté aux enfants réticents à finir leur sou...