2 - Éva

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Avant de repartir de la station, je prends le temps de me calmer aux toilettes. Je me rince le visage et bois une grande bouteille d'eau. Je prends de longues inspirations et expire lentement. Mon corps n'est décidément plus habitué à autant d'adrénaline et il m'est difficile de me calmer à nouveau. Le point positif dans tout ça, c'est que je n'aurai pas besoin de faire une sieste dans ma voiture.

Je me sens chanceuse d'avoir traversé cette situation sans tomber dans une de ces violentes crises qu'il m'arrive de faire. Toutefois, je ne peux m'empêcher de me demander ce qui se serait passé si j'avais dû donner le premier coup. Aurais-je réussi à m'arrêter à temps ? Ou est-ce que mon angoisse aurait permis à mon assaillant de prendre le dessus sur moi, alors que je me serais battue contre les réactions de mon propre corps ?

Je ne supporte pas d'être dépendante de facteurs externes, de ne pas savoir me contrôler. Habituellement, j'arrive à me tenir éloignée de ce genre de situation, mais comment aurais-je pu anticiper celle de ce soir ? La honte et la culpabilité m'accablent. Je suis bien consciente que j'aurais pu éviter tout ça ; si j'étais restée chez moi, comme je le fais depuis des années, je ne me serais pas retrouvée dans cette situation. Je n'ai pas encore retrouvé Alex que mon corps me rappelle déjà ses limites. Le rejoindre n'était peut-être pas une bonne idée, finalement.

Après avoir quitté les toilettes, je marche lentement vers la sortie en prenant le temps de regarder autour de moi. La station est de nouveau déserte. Je contemple la tache de sang au sol, seul indice sur ce qui s'est déroulé quelques minutes plus tôt. Ce n'est pas la violence de cette expérience qui m'effraie, mais le fait que j'ai aimé ça. L'odeur du sang, les gémissements de mon agresseur, sa peur ont nourri une part malsaine de moi que j'étouffe depuis des années. Mes pensées tournent en boucle, me repassant les images encore et encore dans la tête. Pourtant, je n'arrive pas à savoir si c'est l'agression ou le visage de mon « sauveur » qui me perturbe le plus.

Ces trois dernières années, j'ai tout fait pour rester éloignée des situations dangereuses ou angoissantes. Je n'ai pas pu garder longtemps mon job de serveuse, parce que je menaçais chaque client un peu trop insistant. Et lorsque des bagarres éclataient dans le bar, j'étais obligée d'aller m'enfermer dans les toilettes, refusant d'intervenir et de prendre le risque de devenir le seul réel danger. Je ne me fais absolument pas confiance et les conséquences pour moi – ou pour les autres – peuvent être dramatiques. J'ai fini par me retrouver à vendre des livres dans une petite librairie de quartier. Je ne suis pas particulièrement passionnée, mais au moins, je n'ai pas eu à m'énerver depuis la fois où deux clientes voulaient acheter le même livre, alors qu'il en restait différents exemplaires.

Ce soir, mes tremblements ont totalement cessé lorsque j'ai soigné les mains de celui qui a pris ma défense. Bien que cela me perturbe, j'en suis ravie. Lorsque je passe à l'action, ou que je me laisse submerger par mes émotions, il me faut parfois plusieurs heures pour redescendre.

Je décide d'enfin reprendre la route après avoir envoyé un message à Alex pour le rassurer quant à mon retard. Ma pause à la station a duré plus de temps que prévu et il me reste encore un peu de route.

* * *

Une demi-heure plus tard, j'arrive enfin dans le petit village de notre enfance. Les façades des bâtiments n'ont pas changé en trois ans et je les reconnais facilement. Mes phares illuminent les terrains de jeu où nous avons passé des heures à nous amuser. Je reconnais le banc à côté de la boulangerie où nous avions l'habitude de discuter pendant des heures. Le petit commerce, fermé à cette heure-ci, affiche toujours les mêmes couleurs vives et chaleureuses. Je longe la place de la mairie, m'interdisant de jeter un œil vers la grande église qui se dresse à ma droite, et m'éloigne du centre-ville.

LAST HOPE [en contrat d'édition chez NISHA ET CAETERA]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant