De l'éther dans un chiffon pour s'assurer qu'elle ne se réveille pas avant un moment. Elle était belle endormie. Il sortit de l'A6, c'était un endroit qu'il connaissait bien, il avait sa carte routière en main, tout autour, des forêts. Il gara la voiture dans un chemin, la laissa là et partit à pied sur une centaine de mètres. Il levait le pouce, bras tendu et attendait que quelqu'un passe pour le prendre.
"Racontez-moi vos rèves, Eléa. Ainsi vous pourrez fuir." La voix charmeuse et toujours aussi intéressée du docteur lui restait dans le crâne, l'empêchant de pleinement se concentrer.
Brusquement la voix d'Elise transperça dans un cri "C'EST AU ROUGE". Elle reprit ses esprits et vit qu'elle était tout de même passée dans l'intersection en ayant manqué un piéton de justesse. Elle rétorqua simplement "C'était au rouge."
Elle passa par la sicavyl et ses odeurs putrides, qui suffirent à la sortir du vague. Elle regarde les dingues et les paumés déambuler. Elle déposa sa sœur devant le collège, fuma sa cigarette en la regardant entrer, et en essuyant tous les regards de mômes des quartiers d'ici. Elle que d'avoir une voiture de flic qui vous dépose chaque matin devant le collège n'est pas évident. Elle finit sa cigarette à moitié, et reprit la route vers la caserne.
Elle avait beau vouloir se vider l'esprit, elle savait ce qui l'attendait dès qu'elle passerait la porte de son bureau. Comme à chaque fois, une histoire triste, misérable. La même mère de famille qui vient porter plainte contre son ex-mari qui l'a suit en voiture depuis des mois. Ce jusqu'à ce qu'elle arrête de venir un jour, et que l'on apprenne que l'homme l'a finalement abattue devant ses enfants. Ce même alcoolique qui s'est battu devant la gare, ou des enfants, bien trop d'enfants.
Tous les jours, elle épurait les dossiers de femmes "geignardes" pour les officiers, de voitures brûlées dans un HLM, de fugues, de viols et d'agression parfois d'un père à une fille - comment faire parler un nourrisson ? - une région de l'Yonne qu'on surnommait le triangle des bermudes.
Parmi tous ses dossiers traitant de cas sociaux, de victimes jamais aidées et de raclure, on ne s'attend pas à une affaire s'apparentant à un scénario de film. Les seuls films qu'on tournait ici étaient ceux à fond caritatif.
Elle était arrivée un peu en retard, une habitude, et n'avait pas eu le temps de rentrer qu'elle vit Alex, son collègue. Fin et athlétique, une mine fatiguée et des dents de travers. Lui aussi dans la vingtaine.
C'était des jeunes, trop pour être ici, comme avait dit un jour Alex "La misère nous tombe dessus tous les jours". Des élèves à peine sortis d'école se retrouvaient déjà dans cette caserne de gendarmerie au beau milieu des immeubles décrépis.
Il l'interpella, et lui dit expressément qu'ils devaient partir, qu'il y avait quelque chose de grave.
La pluie commençait à s'abattre sur la campagne avec une intensité rageuse, transformant les départementales en rivière de goudron. Ils avaient quitté l'autoroute et arpentaient maintenant des petits chemins de bois et de champ jusqu'à voir au loin, se discerner dans le brouillard, les autres voitures de police. La capitaine Eléonore Vallier se gara sur la bas côté, son moteur grondant encore dans le silence oppressant. Elle coupa le contact, laissant le crépitement de la pluie envahir l'habitacle, une mélodie dissonante qui semblait annoncer l'horreur à venir. À côté d'elle, l'inspecteur Alex Lefèvre jeta un coup d'œil par la fenêtre embuée, les lèvres serrées en une ligne fine.
Vallier hocha la tête en silence, ses mains glissant sur le volant avant de sortir de la voiture. La pluie froide l'accueillit, la frappant avec une violence qui semblait vouloir la repousser. Elle remonta le col de son manteau, ignorant l'humidité qui s'insinuait déjà sous ses vêtements.
VOUS LISEZ
Le Chant des Sigils (Thriller psychologique)
Mystery / ThrillerAutour d'une ville nauséabonde de l'Yonne, au bord de l'A6, un homme est retrouvé dans sa voiture, égorgé et saigné comme un porc. Sur le capot, un sigil et des écritures mystiques sont gravées, une fois déchiffrées, l'on découvre la première pièce...