L'amour derrière nos ombres

June

   Il ne fait pas beau, aujourd'hui. Dehors, le ciel est gris, le vent danse et balaie les petites branches qui tentent de survivre à la mauvaise saison.

Oh and carry me away
Take me from this dark and lonely day
Oh Restless wind will you blow my way

   Je frotte mes mains l'une contre l'autre avant de sortir de la voiture, dans laquelle résonnent les dernières paroles d'une musique que mon cœur aurait pu écrire.

   En soupirant, je vois de la fumée s'échapper de mes lèvres et ça me rappelle que je n'ai pas touché à une cigarette depuis plusieurs jours. J'attrape mon sac et fouille à l'intérieur pour trouver que sais-je qui pourra faire l'affaire, mais il n'y a rien qui y ressemble. Je vais devoir traîner mon stress toute la journée, tant pis.

   J'enroule une écharpe autour de mon cou pour pallier les degrés trop bas et regarde si Ivy a fini de se maquiller, et puisque ce n'est pas le cas, je ferme la porte et m'éloigne. Il n'est que neuf heures et la température me donne déjà envie de retourner chez moi. Pourtant, le Texas n'est pas un des États où il fait le plus froid en février, j'ai déjà connu des tempêtes de neige et des hivers glacés.

— Tu viens chez moi, ce soir ? me demande soudainement Ivy, que j'entends trottiner pour me rejoindre.
— Non, je dois me lever tôt demain.
— Tu m'en veux encore ?

Je tourne la tête vers elle et la regarde avec incompréhension.

— Pour la soirée de Mason.

   Ah, la soirée. J'essaie de l'oublier du mieux que je le peux, quand bien même sa voix me hante encore.

— Ivy, c'était il y a une semaine, je suis passée à autre chose.

J'essaie de passer à autre chose.

   Elle est convaincue que je lui en veux pour le traquenard, pour la foule de personnes dans le petit comité, elle n'a pas idée qu'elle est sur une fausse route depuis le début. Ce n'était pas la fête le problème, c'était Taylor. Mais ça, elle ne le sait pas. Je ne peux lui en vouloir de m'emmener dans des endroits qu'elle aime et que je déteste pour la simple raison qu'on peut le croiser. Je ne peux lui reprocher de vouloir me faire rencontrer son copain à une soirée dans laquelle j'ai eu la malchance de le trouver. Elle ne sait rien, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.

— Tu es sûre ?
— Oui, certaine.
— Ok, ouf. Je suis vraiment désolée. J'aurais dû l'emmener à l'un de nos rendez-vous plutôt que de te demander de venir à son anniversaire.
— Tu oserais amener quelqu'un à nos rendez-vous ?

   Elle secoue vivement la tête et glisse un bras sous le mien, avant de coller sa joue à mon épaule.

— Non, mauvaise idée. Nos rendez-vous sont nos rendez-vous, mais... Entre ton boulot, le mien, Taylor, les cours, les examens, le sport, je ne sais pas comment m'organiser pour vous voir tous les deux en même temps.

   Je ne tique pas lorsqu'elle prononce le prénom interdit et la rassure en lui disant qu'on saura faire de la place à quelques rencontres.

— Tu sais, au lieu d'aller en soirée toutes les semaines...

   Je l'écoute marmonner qu'elle a bien le droit de s'amuser un peu, et on se dirige vers l'entrée de l'université. Mes yeux scrutent le moindre visage qui entre dans mon champ de vision, prêts à tomber sur la silhouette de Taylor. En temps normal, il traîne avec ses potes dans un coin à l'opposé, mais dernièrement, je le croise souvent dans tous les endroits que je fréquente : devant le café où je bosse, à la bibliothèque (où il ne met jamais les pieds), les bancs près de la rivière fleurie, une immense pelouse qui tient son nom parce qu'elle est parsemée de marguerites.