June

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— Tu es enfin de retour !

Je ferme la grande porte en bois derrière moi et me tourne vers ma mère, qui descend hâtivement les escaliers, un sourire immense sur les lèvres. Je ne sais toujours pas comment elle fait pour ne pas se fouler la cheville avec des talons aussi grands. Je m'en tiens toujours à mes bottines, personnellement.

— Salut, maman.

Elle me serre dans ses bras et je n'ai pas la force de lui rendre son étreinte. Quand elle recule, elle laisse ses mains sur mes épaules et me dévisage.

— Tu es toute pâle, tu couves quelque chose ?

Je secoue la tête et je n'ai pas le temps d'ajouter quoi que ce soit qu'elle me demande si je dors bien, si je ne saute pas mes repas, ainsi que toutes les questions habituelles d'une maman qui s'inquiète pour son enfant.

— Ça va, je t'assure. Je suis seulement fatiguée.

Pour ne pas dire anxieuse.

Sans parler du fait que je viens de quitter mon boulot, et que je n'ai pas encore eu le temps de prendre une douche et de m'habiller convenablement pour fouler le sol de cette maison, selon elle.

— Ma chérie, tu devrais prendre rendez-vous avec Harold.
— Je travaille beaucoup, c'est tout.
— Je ne comprends pas pourquoi tu t'obstines à vouloir travailler dans un bistrot en plus de tes études... Tu n'en as pas besoin.
— Maman, on en a déjà parlé.

Elle lève la main comme pour se débarrasser du sujet et je me retiens de soupirer. Elle insiste sur le fait que je devrais vraiment voir un spécialiste, et je garde pour moi mon besoin d'être tranquille sans être obligée d'assister à des repas autour d'une table remplie d'inconnus dont le seul sujet est : la politique de notre cher pays.

— Qui a besoin de voir un médecin ? Oh, tu es rentrée, Kristen.

Kristen.

Ce prénom ne m'avait pas manqué. Je sais d'avance que je vais l'entendre un milliard de fois aujourd'hui.

Je tourne la tête vers mon père, qui a l'air d'avoir quinze ans de plus dans son costume trop serré. Décidément, le noir devrait être réservé aux enterrements.

— Dans quel état es-tu...
— Le Texas.

Il lève les yeux au plafond et jette ma blague à la poubelle en l'ignorant. Il se tourne vers ma mère et lui demande de rejoindre les invités, ce qu'elle ne manque pas de faire la seconde qui suit. Quant à moi, il m'ordonne d'aller me changer et d'enfiler une tenue, je cite, correcte.

— Je ne vois pas ce qui cloche, je me moque en sachant pertinemment que je devrais avoir honte d'être entrée ici comme ça.

Enfin, honte est un bien grand mot si vous voulez mon avis. Un simple jean et un sweat à capuche, ce n'est clairement pas la mer à boire. Quand j'écoute mon père, on dirait qu'il doit avaler des océans. S'il pouvait s'étouffer avec.

Je savais pertinemment que ça pouvait le mettre en rogne de débarquer ici ainsi, alors je n'ai pas manqué l'occasion de le faire. Il me montre l'escalier d'un doigt sans prendre la peine de m'accorder un autre regard, avant de suivre le même chemin que ma mère. Je marmonne dans mon coin et file rejoindre ma chambre, à l'étage.

J'ai l'impression que cela fait une éternité que je n'ai pas mis les pieds ici. Peut-être parce que je fais tout pour que ce soit le cas. Pour cause : j'ai troqué une chambre de je ne sais combien de mètres carré et une demeure dix fois plus grande pour un petit appartement en colocation, dans le centre ville. Comment expliquer cela ? Je ne supportais plus de cohabiter sous le même toit que mon père, dont la principale inquiétude dans la vie n'est pas sa famille, mais le reste du monde, parce que, je cite, chaque regard posé sur moi est peut-être un futur vote en mon nom.

L'amour derrière nos ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant