Chapitre 2

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💣Journal d'Emi 💣

Cher Journal,

Aujourd'hui fut un jour mémorable. Dieu lui-même a apprécié mon plat, un événement si rare qu'il en devenait presque surréaliste. Dès qu'il a goûté ma préparation, un sourire a éclairé son visage, et pour une fois, ce sourire n'était pas teinté d'ironie ou de malveillance. Il était sincère, presque chaleureux. Toute la journée, sa bonne humeur a rayonné autour de lui, touchant chacun d'entre nous comme une bénédiction inattendue. Cette joie qu'il exprimait, ce calme bienveillant qu'il laissait transparaître, étaient pour moi une victoire personnelle, même si je ne pouvais être certaine que c'était grâce à moi. Mais la simple idée que, pour une fois, il n'ait pas exprimé de colère était un miracle. Dans notre "drawx", ces moments sont aussi précieux qu'éphémères, et je m'efforçais de savourer chaque seconde.

Pendant l'une de mes rares pauses, j'ai eu une conversation troublante avec Xion, le frère cadet de Mija. Il était inquiet, et cela se voyait dans ses yeux cernés, sa voix hésitante. Mija n'était pas rentrée depuis plusieurs jours, ce qui n'était pas dans ses habitudes, et Xion commençait à se faire du souci. Malgré sa peur, il conservait une innocence qui, pour moi, relevait de l'ignorance dangereuse. Comment pouvait-il ne pas imaginer le pire ? Il était évident que quelque chose de grave était arrivé à sa sœur, mais Xion refusait d'y penser. Il ne parvenait pas à concevoir que Mija pouvait être morte, emportée comme tant d'autres par les ténèbres qui rôdent autour de nous.

Tout en parlant, il me confiait ses pensées sur sa mère, la désignant comme "la méchante de l'histoire". Il semblait se réfugier dans cette image simpliste, comme si cela pouvait expliquer toute la complexité de la situation. Mais il avait tort. Les disparitions dans notre communauté ne se résumaient pas à la méchanceté d'une seule personne. Depuis ma naissance, les habitants de notre secte disparaissaient régulièrement, sans explication, sans retour. On murmurait que c'était le prix à payer pour la "pureté", mais personne n'osait en parler à voix haute. Xion, dans son ignorance, m'a demandé quelque chose d'inimaginable : il voulait que je l'accompagne dans le sous-sol, dans la cave où personne n'osait mettre les pieds.

Comment pouvait-il croire que je risquerais ma vie pour lui ? Je me suis moquée de lui, mon refus était instinctif.

- Ah, bah non, c'est pas comme ça les affaires ! ai-je répliqué d'un ton léger, tentant de cacher la peur qui commençait à s'insinuer en moi.

Mais Xion n'a pas abandonné. Son visage, habituellement si lumineux, s'est assombri, et j'ai vu ses yeux se remplir de larmes. Il était désespéré, prêt à tout pour retrouver sa sœur.

- Émi, on pourrait y descendre à deux ! supplia-t-il, la voix tremblante.

Il semblait tellement vulnérable, tellement brisé, que j'ai fini par céder. Peut-être étais-je poussée par une curiosité morbide, une envie de comprendre ce qui se passait réellement dans ce lieu interdit. Peut-être aussi que je ne pouvais simplement pas supporter de le voir si désespéré. J'ai accepté, contre ma propre volonté, de monter la garde pendant qu'il descendrait dans ce sous-sol maudit.

Nous avons avancé à travers le couloir sombre, proche de celui de Dieu. Le silence régnait, pesant, oppressant. Nous savions tous les deux qu'il ne fallait pas se faire prendre. Le moindre bruit, la moindre erreur, et c'en était fini de nous. Notre plan était simple, mais chaque pas me semblait être un défi presque insurmontable. Xion tremblait à chaque instant, comme une feuille agitée par le vent. Mais il continuait d'avancer, animé par une force que je ne comprenais pas totalement. Était-ce l'amour pour sa sœur, ou la peur de ce qu'il pourrait découvrir ?

Nous n'avions parcouru que la moitié du chemin quand Xion a commencé à montrer des signes d'épuisement. Son souffle devenait court, et il peinait à suivre le rythme. Je le regardais, partagée entre la pitié et l'agacement. Moi, j'avais été habituée à l'effort dès mon plus jeune âge, courant des kilomètres pour chercher de l'eau au puits. Ce trajet n'était rien pour moi, mais pour Xion, chaque pas semblait être une épreuve insurmontable. Malgré tout, nous arrivâmes enfin devant la trappe menant au sous-sol.

En lettres épaisses et menaçantes, on pouvait lire :
**ACCÈS INTERDIT, ARRÊT DE MORT**.

La trappe était d'un rouge sombre, presque sanglant, incrustée dans une vieille porte de marbre, imposante et ornée de symboles que je ne parvenais pas à déchiffrer.

- On y est arrivé... soufflai-je, brisant enfin le silence oppressant qui pesait sur nous.

- Oui... répondit Xion, sa voix à peine audible, tremblante.

Un nouveau silence s'installa, encore plus lourd que le précédent. Xion frissonnait, son cou tremblait visiblement sous l'effet de la peur. Ce calme inquiétant en disait long sur ce qui nous attendait derrière cette trappe. Une part de moi se demandait si je devais avoir peur aussi.

La mort nous attendait-elle vraiment derrière cette porte ? Ce qui était écrit dessus n'était vrai que si nous nous faisions attraper. Mais que se passerait-il si nous étions découverts ? Une vague d'anxiété me submergea, me rappelant des souvenirs d'enfance que j'avais essayé d'oublier. Ces moments où Dieu nous frappait avec des bâtons de bois, où chaque coup semblait être un châtiment divin. Harry Garry Slawarx de Ferbondis du Nord, cet homme qui prenait un plaisir cruel à faire souffrir les enfants, me revint en mémoire. Un secret que seuls ses fidèles partageaient. Mon père m'avait un jour révélé ce nom en secret, en m'apprenant les règles strictes de notre secte. Il appelait cet endroit notre "drawx", un mot mystérieux dont je n'avais jamais compris la signification. Pour moi, cela signifiait simplement "ville", mais je savais qu'il y avait une signification plus profonde, plus sombre, que personne n'osait expliquer.

- Tu ouvres ? chuchota Xion, me tirant brutalement de mes pensées.

Lentement, avec une main tremblante, j'ouvris la trappe. Mes doigts se couvrirent immédiatement d'un liquide rouge, visqueux. Du sang. Lorsque la trappe se souleva, la première chose que je vis fut un crâne. Un véritable crâne humain, blanchi par le temps, mais encore terrifiant dans sa simplicité. Je refermai la trappe d'un coup sec, mon cœur battant à tout rompre. Le sang était encore liquide.

Était-il récent ?

---

Lentement, je posai mon stylo et refermai mon journal. Mon cœur battait encore la chamade, et mes mains tremblaient légèrement. Je cachai le journal sous le matelas sec du dortoir, prenant soin de vérifier que personne ne m'avait vue. Ces mots, ces pensées, devaient rester secrets. Personne ne devait savoir ce que j'avais découvert. Pas encore.

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 08 ⏰

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