Sous l'ombre apaisante du grand arbre à palabres, les enfants du village étaient suspendus aux lèvres de Baba Afolabi. Le vieil homme, sage parmi les sages, avait le don de transformer les silences en paroles profondes, et ce soir-là, alors que le crépuscule teintait le ciel de nuances pourpres, il leur racontait l'histoire douloureuse d'Oluwakèmy. Les plus jeunes, blottis contre leurs aînés, ressentaient la gravité de ses mots, tandis que les anciens, eux, hochaient la tête, conscients de la réalité qui se cachait derrière cette histoire.
« Mes enfants, » commença Baba Afolabi, sa voix résonnant avec la sagesse du temps, « quand Oluwakèmy arriva chez Mâ Fumilayo, elle croyait avoir trouvé un refuge, une nouvelle famille. Mais il n'en fut rien. »
Les enfants se penchèrent un peu plus en avant, leurs regards rivés sur le vieil homme, qui s'éclaircit la gorge avant de continuer.
« Dès le premier jour, Mâ Fumilayo l'assigna aux tâches ménagères les plus ingrates. Le matin, avant même que l'aube ne pointe à l'horizon, Oluwakèmy devait se lever et balayer toute la cour. Le sol, battu par le passage incessant des habitants, était recouvert de poussière et de détritus. Ses mains frêles maniaient le balai de paille, soulevant des nuages de poussière qui s'accrochaient à ses vêtements et envahissaient ses poumons. Pourtant, elle continuait inlassablement, car elle savait que toute pause, aussi brève soit-elle, lui vaudrait une correction sévère. »
Baba Afolabi ferma les yeux un instant, se remémorant la dureté de cette époque, puis reprit son récit.
« Après le balayage, elle devait puiser de l'eau au puits, remplir de lourdes jarres qu'elle transportait sur sa tête, ses pieds nus foulant la terre chaude. L'eau, précieuse dans cette maison, servait à tout : nettoyer, cuisiner, et abreuver la famille. Mais il n'y en avait jamais assez pour Oluwakèmy, qui devait attendre que tout le monde se soit servi avant de pouvoir boire une simple gorgée. »
Les enfants frissonnèrent, imaginant la soif d'Oluwakèmy sous le soleil implacable de Cotonou.
« Une fois l'eau ramenée, commençait la préparation des repas. Sous la surveillance stricte de Mâ Fumilayo, elle devait éplucher les légumes, préparer les sauces, et cuire les plats. Ses mains étaient souvent couvertes de coupures et de brûlures, mais elle n'avait pas le droit de se plaindre. »
Le vieil homme secoua la tête, une expression de tristesse se dessinant sur son visage.
« Les enfants de Mâ Fumilayo, eux, ne se contentaient pas de la regarder travailler. Non, ils prenaient plaisir à la tourmenter. Pendant qu'elle s'affairait dans la cuisine, ils s'approchaient en silence, renversant discrètement le contenu des casseroles ou ajoutant du sel en excès, puis riaient lorsque Mâ Fumilayo, furieuse, punissait sévèrement Oluwakèmy pour l'avoir "gâché" le repas. »
Les jeunes auditeurs du cercle laissèrent échapper des murmures indignés, leur cœur révolté par l'injustice dont était victime la jeune fille.
« Ils allaient encore plus loin, » poursuivit Baba Afolabi, le regard sombre. « Quand venait l'heure du repas, Oluwakèmy devait servir chacun des enfants, s'assurant que leurs assiettes étaient pleines et que leur confort était assuré. Elle restait debout, dans un coin de la pièce, les mains jointes, attendant patiemment que tous aient fini. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle était autorisée à manger les restes. »
Le vieil homme s'arrêta un instant, observant les visages tendus des enfants autour de lui. « Mais ces restes étaient souillés. Les enfants de Mâ Fumilayo, dans leur cruauté, prenaient un malin plaisir à cracher dans leur nourriture avant de la donner à Oluwakèmy. Parfois, ils versaient de l'eau dans son bol, rendant le repas à peine comestible. Mais elle devait manger, car refuser aurait signifié la famine, ou pire, une punition encore plus sévère. »
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Le dernière soupir d'une âme brisée
RandomDans l'ombre des pages, un destin se dessine, Un récit de souffrance, où la douleur s'incline. Chaque mot, un écho d'un cœur déchiré, Chaque vers, un soupir d'une âme enchaînée. Là où l'amour s'efface, les larmes s'invitent, Les espoirs bris...