Sidonie

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Sidonie n'aimait pas ça, mais pas le choix.
Plutôt qu'un coup de ceinture, elle préférait encore s'exécuter et se rendre tremblotante de peur au fond de la propriété.

Tout les quatre ou cinq jours, il fallait aller déverser les déchets alimentaires au bord de la forêt dans la fosse creusée à cet effet.
L'odeur de décomposition des aliments on s'y habitue.
Mais voilà, il y avait autre chose.

Au début, elle le faisait presque avec entrain.
A huit ans, on lui confiait sa première mission sur la ferme.
Ses quatre frères aînés travaillaient déjà dans les champs avec son père, et ses deux grandes soeurs à l'auberge construite au bord de la route pavée, à l'autre bout du terrain gérée par leur mère.
Dans sa famille, à huit ans, tout le monde commençait à travailler.
Un peu tard pour certains de leurs voisins, mais pas chez eux.

Maman voulait que l'on soit assez fort pour être plus efficace alors elle nous faisait manger, manger, manger, et seulement après les repas qui duraient longtemps, on pouvait aller jouer.
Enfin jusqu'à nos huit ans.

Lorsque Gurgge son frère le plus proche eu l'âge d'accompagner ses frères, Sidonie ne trouvait plus très amusant de jouer seule.
Cela ne dura pas bien longtemps.
Avec seulement deux ans d'écart, elle fut bientôt mise au travail.
Aller jetter les pelures, les coquilles d'oeufs, les os, la peau, et tout plein de trucs que sa mère et ses sœurs entassaient dans une vielle brouette en bois.
"Cinq jours pas plus, sinon ça pue dans la grange derrière l'auberge et les clients  s'arrêtent plus"
Tel était la consigne de sa mère.
Au début, Sidonie trouvait cela tellement amusant, grisée par la nouveauté, qu'elle y allait tout les jours.
" Ça durera pas " lui assura Meli sa deuxième sœur.
Bien vu. Déjà le trajet pour ses petites jambes lui demandait de gros efforts. Puis en ajoutant le poids de la brouette et parfois la boue les jours de pluie, ça n'était plus drôle du tout.

Alors elle attendait de plus en plus, deux jours, puis trois, une fois même elle dépassa la consigne et au bout du sixième jour elle ne parvint pas à la déplacer seule, les roues s'enfoncant dans la terre molle gavée d'humidité.
Obligée de demander à Meli de l'aider, son dos, marqué par les coups de ceinture de sa mère, lui rappellerai des semaines durant son erreur.
L'été passa, puis l'automne, et maintenant il faisait de plus en plus sombre quand elle se rendait à la fosse.
Et Sidonie, ça ne lui plaisait pas.

La forêt ne lui paraissait plus trop accueillante. Toutes sortes de bruits de pas, de feuilles qui se mouvent, de hullulements ça fichait bien la trouille.
Plusieurs fois même, un grognement se fit entendre à quelques mètres de la fosse.   C'est comme ça qu'elle pouvait le décrire avec ses mots, parce qu'à huit ans on ne sait pas trop comment bien expliquer les choses.
Mais sa mère y voyait une excuse pour ne pas y aller.
Alors Sidonie continuait sa tâche, la peur du cuir lancerant sa peau étant plus forte que celle des grognements.

Cette fois, la nuit était bien là, Sidonie se guidait grâce aux étoiles et la lune qui éclairait le champ.
Une fois au trou nauséabond, elle se dépêcha de vider le contenu.
Les grognements se firent entendre, plus prêt. Trop prêt.
Il était là, à la lisière de la forêt, elle ne le distinguait pas mais elle entendait. Et puis... Elle sentait aussi.
Malgré la puanteur de la fosse, chaque fois que les grognements émergeait, une odeur forte lui brûlait le nez, un mélange horrible de pisse et de chien mouillé.
Accélérant le mouvement, son cœur battait à tout rompre.
Les jambes en coton, elle en voulait finir le plus vite possible, une boule lui montait dans la gorge et elle se mit à sanglotter de manière incontrolable.
Un autre bruit apparu depuis la forêt, un couinement suivi d'un gargouillis.
Il semblait que toute la vie habituelle dans le bois avait subitement cessé.
Un silence soudain, oppressant.

Sidonie ne retenait plus ses sanglots dorénavant. Elle pleurait à chaude larmes.
La brouette presque vide, elle décida que s'en était assez, tant pis, elle préférait les coups de ceinture.
Redressant la brouette sur ses pieds, elle ne pu s'empêcher de regarder à travers les arbres.
Son sang ne fit qu'un tour.
Deux pupilles jaunes, rondes, brillantes, fixait la fillette à environ deux mètres cinquante du sol.
L'enfant était terrorisée, incapable du moindre geste.
La bête apparu alors à découvert, se découvrant lentement sous la lumière de la Lune, dressée sur ses deux pattes arrières, couverte de poils sombres qui dégoulinaient
( de sang ? )  la gueule entrouverte, un large filet de bave suintant sur son torse
( pas du sang de la bave ).

Cette gueule difforme, digne des pires cauchemar que l'on racontait au enfants pas sages, ne ressemblait en rien à ce que Sidonie connaissait.
La face était pleine d'excroissances, comme façonnée à coups de burin et marteau, un liquide sortait de certains gros boutons gélatineux, au milieu trônait deux gros yeux jaunes vitreux, des oreilles asymétriques, l'une pouintue et l'autre pendante, une longue mâchoire ornée d'une truffe ressemblant à celle d'un chien ou d'un loup, derrière les babines flasques, une double rangée de dents tordues et disproportionnées, particulièrement deux énormes canines noircies au bout.

Le monstre émettait un son affreux, entre une respiration asthmatique, un couinement de porcinet et des grognements gluturaux.
La petite Sidonie hurla de terreur, si fort que l'on le perçu à des lieux paraît-il.
Mais cela ne fit qu'exciter la bête qui d'un bond se jetta sur la pauvre enfant, déchiquetant ses viscères avant de le l'engloutir encore à moitié vivante.

Oui, Sidonie aurait préféré les coups de ceintures.


FIN



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⏰ Dernière mise à jour : Sep 02 ⏰

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