Prologue

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Il n'y avait pas une nuit où on ne faisait pas de cauchemars lorsqu'on était un monstre. Lorsqu'elle était jeune, on lui avait souvent conté des histoires à faire trembler les morts, où des vampires à dents de tigre, des sphinx assoiffés de sang venaient la dévorer, des chimères à tête de lion ou des oiseaux aux becs de métal venaient se repaitre de sa chair.

Désormais, c'étaient ces monstres qui dormaient à ses côtés. Des milliers d'êtres rampants qui venaient déguster son cerveau lorsqu'elle dormait, tel des fourmis à l'attaque d'un cadavre d'insecte. Des centaines d'images morbides, de leurs souffles chauds dans son cou, de leurs mains autour de sa taille.

Elle n'avait jamais bien dormi, au fond de cette grotte. L'humidité la faisait renifler, toutes les dix secondes. Le bruit de l'air s'engouffrant dans ses poumons transi se répercutait sur les parois blanches de calcaire. Au dessus d'elle, des stalagtites déposaient sur son échine des gouttelettes d'eau purifiée. Le vent marin entrait par l'entrée de la grotte, ne laissant pas une seule onde de chaleur traverser son corps.

Près d'elle, deux corps reposaient aussi leur sombre destin. La lumière du crépuscule déposaient sur leurs corps difformes une lumière dentelée, n'offrant aucun réconfort ou aucun hommage. 

A demi éveillée, encore cernée par les ombres dansantes qui peuplaient son imaginaire, elle prit conscience qu'une présence intruse perturbait la paisible atmosphère de la crique. Les rais de lumières qui atteignaient jusque là son corps et sa pupille furent stoppé par une silhouette noire, en contrejour. Certaine qu'elle rêvait encore, elle put distinguer un homme, qui de sa stature semblait jeune.

Il s'avança. Elle pensa: pas à nouveau. Pas ce nouveau cauchemar, ce rêve qu'elle faisait à chaque fois et qui la hanterait jusqu'à la fin des temps. Pourtant elle garda son regard vitreux sur lui, sans bouger, endormie.

Mais pour la première fois, ce ne fut pas pour elle qu'il leva une longue épée aiguisée. Elle se vit dans le reflet de la lame, le soleil venant réveiller totalement son esprit et imprégner le mot DANGER au fond de sa pupille. Mais elle ne fit rien.

Elle ne bougea pas en entendant l'homme trancher le cou de sa première sœur. Entendre le sang couler, se mêler aux flaques sur le sol, les pas du héros qui continuaient, parcouraient la grotte afin d'atteindre le corps encore endormi de sa deuxième sœur. Elle ne fit rien, écoutant son souffle lentement et les gargouillements atroces de celle qui venait de mourir sous ses yeux. 

Le son de la mort de sa deuxième soeur fut plus atroce encore, il lui sembla que cela durait des heures. Le premier coup d'épée ne fut pas assez profond, elle le sut tout de suite. La chair chaude qui se débattait, et le cri inhumain qu'elle poussa avant de mourir dans un épais nuage de poussière, la firent sursauter.

Elle se releva, les yeux écarquillés. 

Ce n'est pas un rêve.
Ce n'est pas un rêve.
Ce n'est pas le Seigneur des Mers.
C'est un danger.

Elle se releva, ses mains griffant le sol de pierre et de terre mâchée. Le héros s'en aperçut, lui qui relevait son épée ensanglantée du corps de sa soeur, inerte. Le sang y gouttait lentement, il fit quelques pas vers elle. N'ayant plus besoin de sa discrétion, il laissa ses bottes claquer sur le sol, laissant la grotte se plaindre longuement en répercutant ses pas.

Figée, elle leva une main, pour se protéger. Son corps se raidit de crainte, son autre bras s'enroulant autour de son ventre rond.

Il la regarda, elle fixa son épée, terrorisée. Sa main autour du pommeau était ferme, calleuse, décidée. Après une brève hésitation, il reprit ses esprits et leva son arme à deux mains.

Είθε η ψυχή σου να βρει ειρήνη, δαίμονα, ο Περσέας θα συντομεύσει τα βάσανά σου
"Puisse ton âme trouver la paix, démonne, Persée abrègera tes souffrances"

Elle n'eut qu'une seule pensée en tête. 
Il doit reprendre.
Il doit le tuer.
Il doit le tuer avant de la tuer elle.
Elle ne l'a jamais voulu.

Elle posa ses deux mains sur son ventre rond, le regard effarouché. Persée s'apprêtait à la tuer, il se figea. Cette poitrine, ce ventre plein, il comprit immédiatement. Ses yeux allèrent de sa tête à son ventre, son épée tomba au sol en tintant.

Il ne la tuerait pas, elle en eut la certitude. Pourtant, leurs yeux ne se croisèrent pas. Ils savaient.

Ils savaient tout les deux.
De qui était cet enfant.
De qui était cette monstruosité.

Il récupéra son épée, trébuchant légèrement. C'était à peine un jeune adulte, envoyé des dieux. Il avait la fougue et l'intelligence, et la beauté.
Elle l'enviait. 

Il s'empara de la tête d'une de ses sœurs, qui reposait non loin, déformée par la mort et la douleur, et sortit de la grotte.

- Σκότωσα τη Μέδουσα!
"J'ai tué Médusa !"

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𝑃𝑜𝑢𝑟 𝑙'𝑎𝑚𝑜𝑢𝑟 𝑑𝑒-MEDUSAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant