17 mars 1720, 20 h 36
C'est avec un pas moins pressant que ce matin, et avec réticence, que Christopher se rendit à l'auberge du pirate indiquée par le gouverneur. Si seulement il n'y avait pas été contraint, il serait déjà dans sa modeste chambre en train d'écrire dans son journal.
Des questions se bousculèrent dans la tête du jeune homme. Comment était-il physiquement ? Comment réagirait le pirate à sa vue ? Parviendrait-il à garder son sang-froid quand il ferait face à son ennemi ? Était-il aussi effrayant que le disaient les légendes ? Non, peut-être pas à ce point, puisque nombreux étaient ceux qui vantaient les mérites de ses exploits, sans parler des trésors et batailles qu'il avait gagnés. Mais Christopher se réjouissait que le pirate ne soit pas aussi fort qu'il voulait le paraître. Auquel cas, il ne se serait jamais fait attraper.
La nuit s'était installée depuis quelques heures déjà, faisant place à une fraîcheur inattendue en milieu tropical. Le soldat était vêtu comme un gentilhomme ; un chapeau, un long manteau noir boutonné jusqu'en haut et un pantalon de couleur identique. Il avait délaissé son uniforme dans l'espoir de passer inaperçu, mais avec son attitude et sa démarche, c'était peine perdue. Il resterait soldat, quoi qu'il décide de porter, telle était sa destinée.
Les rues grouillaient d'hommes en tous genres, pour ne pas dire d'ivrognes. Certains n'avaient pas la courtoisie de se vider ailleurs que sur les pavés de la rue et Christopher manqua de peu de devoir nettoyer ses bottes. Un comble pour cette journée qui semblait sans fin.
Il n'était pas si tard que ça, et pourtant ils se réfugiaient déjà dans les bars du coin à la recherche de ce que l'alcool pouvait leur apporter. Un semblant de vie dans un monde où être simplement soupçonné de piraterie suffisait à être pendu haut et court sur la place publique ; sous les regards d'hommes, de femmes et d'enfants aussi impuissants qu'innocents.
Savoir que des innocents mouraient était une triste constatation pour ce jeune commodore qui ne demandait que la justice véritable et équitable. Pour lui, ce simulacre n'en était pas, bien au contraire. Il ne s'agissait que de violence purement gratuite, dissuadant à peine les vrais fautifs qui s'en donnaient à cœur joie. C'était une des raisons pour lesquelles il avait rejoint les rangs. Une manière pour lui de réparer cette injustice en attrapant les bons coupables. De débarrasser une fois pour toutes la terre de ces pirates.
Rapidement, et à son plus grand malheur, le jeune homme aperçut l'enseigne de l'auberge. Une chope à côté d'une bouteille de rhum, l'alcool local dans les Caraïbes. Pas très original, tout ça, conclut-il en l'observant avant de se décider. Il entra après avoir retiré son tricorne et, malgré la marée de personnes y siégeant, fit face à un silence que seule la mort aurait été capable de procurer. Ils avaient stoppé tous mouvements et fixé leurs yeux sur lui. Certains avaient leur bouche posée sur le verre et restaient stoïques. D'autres avaient dansé avant son arrivée, à en croire la manière dont ils étaient enlacés, main dans la main, au centre de la piste de danse. On entendait juste les musiciens jouant près du bar avant qu'ils ne cessent.
Christopher sut exactement pourquoi un tel cirque. C'était à cause de lui. Peu nombreuses étaient les personnes de cette île à apprécier les Anglais, ces richissimes colonisateurs que rien n'arrêtait. Mais il ne se laissa pas pour autant déstabiliser.
Ses yeux scrutèrent la pièce à la recherche du pirate qu'il ne vit pas même en y mettant toute sa bonne volonté. Alors il s'avança jusqu'au comptoir dans l'espoir de trouver quelqu'un qui saurait lui dire où se cachait ce criminel. Les murmures des conversations accompagnèrent son avancée. Le tavernier, rien qu'en le voyant, sut pour qui il était venu. D'un seul regard, et sans même ouvrir la bouche ni pointer du doigt – ses mains occupées à vider une bouteille –, il lui indiqua la direction à suivre, par-delà le rideau rouge à côté du comptoir. Une serveuse portant un corset aussi serré qu'un garrot sortit avec un plateau de verres vides à la main.
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L'océan dans ses yeux [AUTO ÉDITION]
Romance[DISPONIBLE SUR AMAZON] L'un était pirate, l'autre un officier de la marine Britannique. Christopher Hudson, jeune capitaine anglais, reçut une offre de promotion prestigieuse. Cependant, cette opportunité s'accompagnait d'une certaine condition :...