Comme chaque soir, la grande salle de la communauté des échris débordait de vie. Les habitants vaquaient à leurs occupations sans se soucier de celles des autres, dans un joyeux brouhaha.
Dans les cuisines semi-ouvertes, les plus jeunes Mères faisaient la vaisselle en discutant gaiement. L'une d'elles, plus exubérante que les autres, riait à gorge déployée malgré les regards emplis de reproches des plus âgées.
La pièce principale était tout aussi animée, les hommes s'étant lancés dans un concours de beuverie et certains avaient déjà glissé sous la table. Corélia aperçut néanmoins son Père et son frère parmi ceux qui tenaient encore debout. A côté d'eux, un jeune parfumeur entama soudain un chant grivois, et fut rapidement suivi par tous les autres hommes. Ils tapaient en rythme sur la table, faisant trembler toute la pièce avec eux. Quelques coupes de bière se renversèrent, diffusant leur odeur sucrée dans toute la salle.
Corélia sursauta brusquement en sentant une petite main saisir sa longue jupe. En baissant les yeux, elle découvrit une petite fille qui l'observait fixement.
— Corélia, tu peux nous raconter une histoire ?
La jeune femme esquissa un sourire. Avec douceur, elle prit la petite fille dans ses bras et l'entraîna jusqu'à la cheminée de la grande salle. Sur son chemin, plusieurs autres enfants vinrent la rejoindre, habitués à leur rituel du soir.
Corélia déposa la petite fille sur une pile de coussins au sol, en installa quelques autres en demi-cercle autour de l'âtre puis s'assit à son tour. Dans cette partie de la pièce, l'acoustique était différente. On entendait moins les chants des hommes, et les crépitements du feu donnaient une ambiance plus apaisée au cercle d'enfants.
— Corélia, est-ce que les dragons existent ?
— C'est vrai que les fées mangent les oreilles des enfants pas sages ?
— Tu peux nous raconter une histoire de sorciers ?
Corélia ignora les questions des enfants et prit quelques secondes pour lisser machinalement les plis de sa jupe étendue autour d'elle. Elle rejeta ensuite ses cheveux en arrière puis posa son doigt sur ses lèvres pour imposer le silence. Comme par magie, les questions des enfants s'apaisèrent alors et ils se calmèrent rapidement. Tous savaient ce que le geste de Corélia signifiait. L'histoire était sur le point de commencer.
La jeune femme ferma les yeux un instant, cherchant l'inspiration. Dans son dos, le feu lui réchauffait la nuque. Quelque part dans un coin de la pièce, des fleurs séchées diffusaient leur douce odeur.
La jeune femme expira calmement puis réouvrit les yeux, ses iris mordorés étincelant de magie.
— Il était une fois, une très belle princesse nommée Echris. Depuis des siècles, son peuple vivait en paix dans des cavernes de cristal sous l'îlot de Toll. Ses habitants étaient des magiciens puissants mais ils craignaient plus que tout la lumière du soleil bleu. Pour cette raison, ils avaient décidé il y a des siècles qu'ils ne se rendraient jamais à la surface, pour leur propre sécurité. Echris était cependant une princesse extrêmement curieuse qui rêvait plus que tout de sentir un jour l'odeur des champs de fleurs de l'îlot de Toll. Le jour de ses 18 ans, à l'aube, elle s'enfuit donc de son palais de cristal pour aller voir la surface de ses propres yeux. Elle se rendit jusqu'aux racines millénaires d'un chêne géant et elle commença à les escalader pour atteindre la surface. Rapidement, ses cheveux se maculèrent de terre et sa jupe se coinça plusieurs fois dans les branches mais la princesse était déterminée à ne pas abandonner. Pendant des heures, elle continua donc à monter, toujours plus haut, vers la lumière du soleil rouge qu'elle apercevait loin au-dessus d'elle. Et au bout de longues heures, elle atteignit enfin la surface et monta jusqu'au sommet du grand chêne pour observer l'immensité qui s'étalait tout autour d'elle. Les champs étaient encore plus beaux que tout ce qu'elle avait pu imaginer. Les différentes fleurs étaient un tourbillon de couleur sous la lumière du soleil rouge. Echris aurait pu rester des heures à les contempler. Mais son ascension de l'arbre avait pris trop de temps. Absorbée dans sa découverte, la princesse ne vit pas le soleil bleu se lever. En une seconde, elle sentit sa peau se refroidir et son visage se figea presque immédiatement en une grimace de terreur. Dans un hurlement de douleur, elle chuta du grand chêne et s'écrasa à ses pieds, dans un champ désert. Son corps de pierre se brisa alors en des centaines d'éclats qui se dispersèrent au vent. Sa curiosité l'avait emporté sur la prudence et désormais, elle en payait le prix... En découvrant la pureté des rêves d'Echris, qui l'avaient poussée jusqu'à cette fin tragique, le Souffle du Destin prit cependant pitié d'elle. Avec tendresse, il transforma ses cendres en graines et, le jour suivant, les fit pousser en de magnifiques fleurs bleues et violettes magiques, aux propriétés très particulières : dans un cycle infini, elles naîtraient en même temps que le soleil rouge et se refermeraient au crépuscule, lorsque les premiers rayons du soleil bleu poindraient à l'horizon. En hommage à la princesse, ces fleurs furent nommées "échris".
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La fleur de la Citadelle
FantasyUne capitale, deux univers qui s'opposent. Corélia ne le sait pas encore mais elle va devenir la passerelle entre ces deux mondes... A 16 ans, Corélia quitte son ilôt natal pour rejoindre la cour du roi à la Citadelle. Entre l'hypocrisie de la cour...