Chapitre 3

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La gare de Toll était le plus vaste hall que Corélia ait jamais vu. Entièrement faite d'acier et de tôle verte, elle était agrémentée de fleurs sculptées directement dans son armature. Une forte odeur de pétrole emplissait les lieux et agressait les narines. Corélia parvenait malgré tout à distinguer également des odeurs plus subtiles de parfums féminins, de cuir et de pain chaud venant d'une boutique ambulante installée près de l'entrée.

— Coco, surveille ta valise !

Une main gantée se posa sur l'épaule de la jeune femme et cette dernière se retourna brusquement vers Enjolly. Vêtue d'une magnifique robe pourpre, elle détonnait parmi les petits commerçants et négociants s'empressant dans la gare.

Depuis qu'elle avait épousé le Gouverneur de Toll, Enjolly était devenue une véritable aristocrate. En quelques mois, elle s'était pliée à tous les codes de la noblesse, faisant ainsi d'elle l'une des femmes les plus élégantes du royaume. Corélia était même persuadée que, si quelqu'un la rencontrait aujourd'hui, il ne pourrait jamais deviner qu'elle n'était à l'origine qu'une simple paysanne.

— Coco !

La jeune femme sursauta pour la deuxième fois en à peine quelques minutes.

— Enjolly, tu m'as fait peur !

— Désolée. Mais essaie de rester concentrée sur la réalité. Et s'il te plaît, fais un effort et appelle moi Jolly.

Corélia soupira. En devenant une noble, Enjolly avait raccourci son prénom pour qu'il n'ait plus que deux syllabes, s'adaptant ainsi aux normes de sa nouvelle classe sociale. Dans son entourage, tout le monde s'était rapidement habitué au changement. Il ne restait que Corélia qui ne parvenait pas à s'y résoudre. La petite fille en elle préférait croire que rien n'avait changé et que sa sœur était toujours sa Enjolly et non la Jolly du Gouverneur de Toll.

Par habitude, la jeune femme grommela son mécontentement avant d'obéir. Elle ramassa son sac et le cala entre ses jambes avant de se laisser à nouveau aspirer par le tourbillon de bruits et d'odeurs de la gare. Elle ne s'était jamais sentie aussi vivante qu'en cet instant.

Depuis qu'elle avait reçu la lettre du prince Kay, la vie de la jeune femme avait complètement basculée. Dans un tourbillon de couleurs et d'émotions, toute la communauté des échris était entrée en ébullition pour préparer le prochain départ de la jeune femme pour la Citadelle. Exceptionnellement, Enjolly était venue s'installer chez son Père pour quelques jours, le temps de finaliser les préparatifs du départ. Elle avait même offert une nouvelle paire de bottines à sa cadette pour la féliciter.

Aux yeux des membres de la communauté, l'invitation de la jeune femme à la Citadelle était un honneur. En épousant un Gouverneur, Enjolly était déjà devenue la fierté de son Père et de toute la communauté. Mais une invitation officielle du prince héritier représentait quelque chose d'exceptionnel. De mémoire, aucun habitant de la communauté des échris n'avait jamais reçu cette opportunité.

Cependant, pour Corélia, cette invitation représentait surtout un moyen de fuir son univers trop petit.

— Ça va bientôt être l'heure.

Corélia hocha la tête et suivit son aînée à travers le hall principal de la gare. En essayant de ne pas tacher sa robe neuve, elle se faufila à sa suite entre les voyageurs.

Devant elle, Enjolly marchait vite malgré ses escarpins et Corélia redoutait de la perdre dans la foule à chaque instant. Pour se rassurer, elle glissa sa main dans la sienne et la serra de toutes ses forces, comme lorsqu'elles étaient enfants.

Les deux sœurs grimpèrent le long d'un escalier métallique en colimaçon et se retrouvèrent sur un quai suspendu. A leur droite, un immense dirigeable était retenu, accroché à une rampe au plafond. Dans l'armature métallique de la gare, il semblait flotter dans le vide.

La fleur de la CitadelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant