Le vent des campagnes du royaume de Valorian est particulièrement pur et revigorant, incomparable à celui des villes aux alentours de la capitale. Et pourtant, c'est cet air que Cassia réclamait durant son enfance. Désormais adulte et gardienne reconnue, elle pourra enfin en bénéficier chaque jour.
"Cassia ! Mais pourquoi diable veux-tu rejoindre la capitale ?"
Elle tourna la tête vers l'homme joufflu qui lui parlait, lui adressant un léger sourire.
"Travailler dans les champs ne m'intéresse pas. Puis, ma profession l'exige."
"Ton père m'a dit que tu avais commencé cet enseignement sans l'en avertir..!"
Elle soupira.
"Je n'allais ni me marier selon ses exigences, ni reprendre ses plantations. Ma fratrie s'en chargera."
Elle a deux sœurs, et un frère, tous plus jeunes qu'elle ne l'est. Ils sont toutefois en âge de comprendre ce que le futur leur réserve, et, naturellement, elle ne comptait pas exactement les abandonner sans s'assurer de leurs intentions. Contrairement à elle, ils ne sont pas faits pour une vie dans la haute société, ils ne sont pas assez bons.
Cassia, elle, est différente. Elle est factuellement meilleure que la majorité des autres jeunes adultes de son âge. Tous l'ont remarqué bien vite, de par ses capacités et ses ambitions. Tôt ou tard, elle allait s'élever vers la haute société. Son père ayant rendu l'âme récemment, la lettre d'un homme important l'a poussée à agir plus vite.
"On n'te fera pas changer d'avis, n'est-ce pas ?"
"Certainement pas. Sur ce..!"
Elle tourna les talons, reprenant son sourire.
Par chance, cette campagne se trouve dans la province appartenant à la famille des Satcher, des nobles influents depuis de nombreuses décennies. Si l'un des envoyés de ces nobles n'avait pas, il y a bien des années déjà, décidé de s'immiscer dans la vie de chaque habitant du village, la condition unique de Cassia n'aurait peut-être jamais été remarquée. C'est grâce à la famille Satcher que la place de Cassia dans la haute société lui est garantie. Elle les a utilisés, pour sûr, mais elle apprécie malgré tout grandement leur seul et unique héritier, un jeune homme de son âge nommé Armel.
Elle arriva à la sortie du village, où attendait un carrosse tape à l'œil, elle monta dans celui-ci, et remarqua instantanément la tête aux longs cheveux incroyablement soyeux qui se tenait assise sur l'un des deux fauteuils. C'était Armel.
"Tu es venu, finalement ?"
Dit-elle en allant s'asseoir sur le second fauteuil.
"Évidemment ! Je me devais de t'accueillir comme il se doit."
"Si ta santé te le permet, alors roulez jeunesse."
Armel a malheureusement une santé extrêmement fragile, qui l'a également rendu faible physiquement. Le moindre effort lui provoquera un malaise, un choc minime pourrait avoir des conséquences notables, une coupure pourrait même devenir une hémorragie... Sa constitution, très frêle, le condamne aux bureaux, mais malheureusement, il apprécie particulièrement l'extérieur. Aujourd'hui était l'occasion parfaite pour lui de sortir sans que sa mère ne s'y oppose.
"Tant que je ne fais que marcher, tout va bien."
"L'un de tes majordomes m'a pourtant dit que, un beau jour, après avoir marché pour quinze pauvres minutes, tu as fait un malaise."
"Je... Je sais être raisonnable ! Ça n'arrivera plus."
Malgré sa santé déplorable, Armel reste un jeune homme relativement enjoué, qui cherche le positif, quoi qu'il arrive. Ses seuls moments de faiblesse sont lorsque ses parents lui reprochent sa condition actuelle, et le fait que, en conséquence, il est bien loin d'être un héritier digne. C'est assez vexant lorsque ses géniteurs recherchent un héritier à adopter, mais il fait avec. Et force est de constater qu'il prétend bien ! Mais l'on sait tous comment se portent réellement ceux qui intériorisent leurs malheurs, en les cachant derrière une façade inflexible.
"D'ailleurs, Armel... J'imagine que tes parents ont aussi reçu une lettre du Roi ?"
"Et bien justement... Non ! Mais moi, oui."
Il avait un sourire fier en disant cela. Recevoir une lettre du Roi est bien rare, et pour cause, c'est la régente qui gère réellement le royaume, pas lui. Il détient cependant toujours quelques pouvoirs, dont envoyer quelques lettres, dont le contenu pourrait être soit une invitation, de quelconque nature que cela soit, ou encore une date de mise à mort.
"Je l'ai lue sans attendre ! Il m'a invité au banquet qu'il organise durant la nuit de demain ! Si tu sais pour cette lettre, j'imagine que toi aussi tu en a reçu une ?"
"Sans surprise, je suis également invitée au banquet. Entre celle-ci, et celle où il a déclaré vouloir m'engager... Va savoir comment il a entendu parler de moi en premier lieu."
"Et bien, il faut dire que les gardiens se font rares de nos jours. Encore plus une gardienne porteuse d'une faveur !"
La 'faveur', un don accordé par les quelques divinités mineures encore vivantes. En vérité, la faveur est un don inné héréditaire, qui a toutefois de fortes chances de ne pas se manifester. Elle ne s'obtient pas. Ceux qui en bénéficient ont un potentiel magique et physique bien supérieur au commun des mortels. La faveur n'apporte pas nécessairement de changement au corps, c'est un pouvoir qui coule dans les veines. Ce don est très majoritairement présent chez les grandes familles nobles, mais encore une fois, Cassia fait exception.
Les gardiens, eux, sont des soldats d'élites experts en magie, chargés de protéger les personnalités majeures de ce monde ou les lieux de culte. D'autres sont chargés de protéger les porteurs de faveurs qui sont instables, car il arrive en effet que certains perdent la raison lentement, jusqu'à devenir des bêtes sauvages. C'est au gardien de les éliminer avant une catastrophe.
"Puis, aussi, tu es une véritable prodige ! Dès le début de ton enseignement, il t'as remarquée !"
"De là à m'inviter à devenir la gardienne du Prince..."
"C'est étonnant, oui... Nul ne savait s'il était encore en vie !"
Cassia souffla un rire en haussant un sourcil. Tout le monde se souvient de 'l'incident' lié au prince. Le fait qu'une illustre inconnue telle qu'elle soit au courant de son état actuel lui semblait stupide.
"Il n'y a pas tant de différence entre la mort ou l'agonie... Je préfère le voir en face à face, avant de me montrer trop enthousiaste.
"Tant que le roi n'a pas d'autre héritier... J'imagine qu'ils vont le garder en plutôt bonne santé !"
Il y a neuf ans de cela, le Roi avait tout préparé pour la naissance de son fils, un banquet, et un festival même. Il voulait absolument faire du jour de sa naissance une fête grandiose à célébrer chaque année. Après tout, le pauvre homme a échoué à de nombreuses reprises à obtenir son héritier légitime.
Mais, nul ne sait pourquoi, alors que le grand jour venait d'arriver, le festival a été complètement annulé. Les guérisseurs ont affirmé que l'enfant a vu le jour en parfait état, mais que la raison de l'annulation du festival est secrète. Depuis, certains ont confirmé à plusieurs reprises que le prince est vivant, mais jamais il n'a été vu et nul n'en connaît la raison.
"Certes..."
"J'ai aussi reçu une autre invitation, venue du sanctuaire du dieu de la moisson. La divinité en question étant appréciée, le prix à la clef est assez généreux..."
"Mais refuser une requête du roi n'est bon pour personne."
"A mon grand dam. Cela dit, tant que je m'éloigne de la cambrousse, peu m'importe."
"Quel mépris !"
Ce n'était pas un reproche de la part d'Armel, il comprend tout à fait Cassia. Elle ne veut simplement pas gâcher son potentiel, peu importe ce que cela l'amène à faire.
La divinité de la moisson n'a aucun rapport avec les cultures, les plantes, les champs... Non, ce qu'elle moissonne, ce sont les âmes. Il s'agit de la divinité que l'on prie lorsqu'un proche vient à mourir.
"Si tu le dis ! Je suis bien pressé de savoir ce que le destin te réserve."
"Armel, tu me connais... Je ne crois pas au destin. Il n'est pas écrit, il tient davantage de l'œuvre collective que du fruit de la volonté d'un seul être. Et j'entends bien avoir mieux qu'un rôle secondaire dans l'écriture du mien."
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Shaded Ever After
FantasyDragons, divinités, malédictions, roturiers, noblesse... Il faut de tout pour faire un monde. Mais que pourrait-il bien se passer si un beau jour quelqu'un décide que non, que l'ordre établi n'a jamais eu de raison d'être ? Que deviendra le monde...