Kelis et Didome

Hit the Road

Kampala, Ouganda,Duma 

Quand Duma émerge, le car a quitté la gare depuis un petit moment déjà et se fraie à présent un chemin dans le trafic dense de la capitale ougandaise. Il ne peut retenir un soupir de soulagement en s'apercevant qu'il est tiré d'affaire même s'il sait que son voyage vient juste de débuter.

Le vieillard qui est assis à ses côtés dort profondément et aucun des passagers ne semblent s'être rendu compte de son absence. Il inspecte ses bras, ses mains mais ne remarque rien d'anormal. Peut-être a-t-il fait une crise de panique et imaginé tout le reste. Pourtant ces derniers instants lui semblaient tellement réel.

Le paysage défile lentement. Il laisse ses pensées vagabonder. Lui qui n'avait jamais quitté sa ville natale commence déjà à douter de son choix. Sera-t-il mieux accepter dans un autre pays, une autre culture ? Serait-ce suffisant pour pallier l'absence de ses proches, de sa mère, de Moses... ?

Il porte sa main à son genou, à l'endroit où il vient de ressentir une étrange chaleur. Il n'a pas le temps de s'étonner de la présence de l'étoile rouge sur sa peau sombre qu'apparait devant lui un jeune homme, ses cheveux tirent vers le roux et sa peau est laiteuse comme Duma n'en a vue qu'à la télévision.

- Putain, toi aussi tu l'as vu l'immense vache ?

Il semble paniqué et s'adresse à lui en anglais avec un fort accent qui rend la compréhension de Duma difficile.

- Oui, je pensais que j'avais rêvé. C'était hallucinant. Et pourquoi je te vois maintenant ?

Le vieillard à ses côtés semble toujours endormi. Quelques passagers ont cependant tourné la tête et l'observe étrangement... comme s'il parlait tout seul...

- Je l'ignore mais il doit surement y avoir un rapport avec ce tatouage. Je ne l'avais pas ce matin en me réveillant. En as-tu un toi aussi ?

Le jeune ougandais désigne son genou

- Pareil, j'ai à peine passé la main dessus et te voila

Lykos n'a pas le temps de répondre que la chaleur se fait à nouveau ressentir au niveau de l'étoile et une autre silhouette, féminine cette fois apparait. Elle parait tout aussi hébétée qu'eux.

La nouvelle arrivante prononce quelques mots dans une langue inconnue de Duma, Lykos lui pense reconnaitre l'arabe qu'il a pu entendre à Paris ou Londres. Mais elle enchaine rapidement en Anglais

- Qui êtes-vous ? êtes-vous ... réels ?

- Autant que l'on puisse l'être je présume. Duma, enchanté !

- Lykos, je pense que nous avons tous eu la même vision, ou rêve, je ne sais pas comment nous pourrions le nommer

Laboha passe la main dans ses cheveux, visiblement confuse

- Donc pour résumer, on a tous vu le minotaure, et maintenant chacun de nous est marqué par un tatouage qui nous permet de nous voir ? Annonce-t-elle

D'un geste de la main, elle désigne l'étoile rouge positionnée derrière son oreille avant de pointer du doigt la paume de Lykos et le genou de Duma.

- J'en ai bien l'impression, confirme l'ancien futur footballeur

- Vous vous souvenez des derniers mots qu'Oreùs a prononcé ?

Laboha plisse les yeux, avant de répondre

- Je ne me souviens plus exactement. Mais je crois qu'il nous demandait de nous rejoindre... Mais je n'ai pas l'impression que nous soyons voisins. Et puis j'ai une vie, une famille. Je ne vais pas tout abandonner parce qu'une grande vache nous l'a demandé

- Pas n'importe quelle vache, un minotaure. J'ai bien retenu la leçon. Lance Duma, en adressant un clin d'œil à Laboha

- Moi je suis à Londres, mais rien ne me retient véritablement ici. Un métier pourri, une vie monotone. Depuis quelques temps je pensais déjà à m'enfuir mais je n'en ai jamais eu le courage. J'aimerai bien avoir un but pour une fois dans ma vie...

Lykos baisse rapidement les yeux, comme s'il regrettait déjà de s'être confié aussi naturellement à des inconnus. L'étudiante se sent attendrie par cette timidité, cette fragilité qu'elle ressent chez lui.

- Alors viens me rejoindre au Caire ! Dans le meilleur, ou le pire des cas, tu réaliseras la prophétie du minotaure. Si nous avons tous été victime d'une hallucination collective, tu profiteras de l'occasion pour visiter les pyramides.

Pour le français qui a toujours été un solitaire, cette marque de sollicitude le touche.

- Et toi Duma ? quelle est ta situation ?

- Tout me retient dans mon pays mais je dois le quitter. Je crois que l'Egypte était sur ma route, même si c'est un sacré périple. Je suis en Ouganda.

- J'ai l'impression qu'on a le début d'un plan alors...

Le sourire de Laboha s'efface en même temps que sa silhouette. Lykos a déjà disparu. Duma se retrouve seul dans le bus, mais la solitude lui semble plus agréable à supporter.