La fête bat son plein, les cotillons jonchent la pierre sombre et souillée des récentes beuveries qui ont lieu chaque année pour cette manifestation. L'image précédente t'aurait vu poser le verre de whisky coca pris dans un des bars sur le parcours du défilé. Combien en as-tu bu auparavant ?
Tu trônes au centre de l'image. C'est récurent. Est-ce toi qui t'insères dans le décors ou le monde qui s'organise autour de toi ? Le monde s'organise autour de toi... pour moi.
Derrière toi se dresse Patrice, immense échassier sur ses chaussures compensées, les fesses serrées dans un short de plastique jaune canari, son unique vêtement qui ne cache rien aux regards des passants. Ses côtes soulignent sa maigreur et ondulent son torse comme un stroboscope de chair et d'os. Les antennes du serre tête qui se balancent sur son crâne laissent une traînée blanche sur l'image.
Toi tu te tiens à sa droite et lui arrive à peine aux épaules. Touche de sombre dans la gaité ambiante. Peau hâlée, cheveux sombres, lunettes de soleil, jean et débardeur noirs. Ton sourire. Ton sourire n'est ni timide, ni flamboyant et je sais avec certitude qu'il n'atteint pas tes yeux. Est-ce pour cela que tu portes des lunettes de soleil ? Tentes-tu de te dissimuler ou n'est-ce que le parfait accessoire pour se sentir perpétuellement en été ?
Tu as noué ton débardeur sur ton ventre qui se dénude pour d'autres yeux que les miens. A ta ceinture pend un nokia preuve de ton goût pour les nouvelles technologies. Ta bouche se fige dans une torsion qui te caractérise. C'est l'unique photo que j'ai prise de toi. Je sais que tu n'aimes pas ça. Je sais que d'autres te feront la remarque pour souligner notre proximité. Unique souvenir qui existe encore hors de ma mémoire.
Patrice prend la pose. Des drags queen il n'y en a pas tant à notre époque. La gay pride c'est son heure de gloire annuelle. Il ne raterait cela pour rien au monde. Les photos quelles qu'elles soient le ravissent. Pourtant je ne peux m'empêcher de penser que l'étoile de cette photo, c'est toi. Parti pris ? Manque d'objectivité ? Peut-être bien...
La sueur perle sur ton front, l'été est bien trop chaud par ici. La main droite de Patrice repose sur ton épaule. J'aurais aimé une photo de toi et moi. Je n'en ai pas. Ni dans ma mémoire ni ailleurs. Patrice chante. La musique tout autour atteint un niveau assourdissant. Les rues et les terrasses des cafés sont bondées. Même si tu y es dans ton élément, tu parais paradoxalement extérieur à tout cela. Tu profites passivement de ce débordement d'enthousiasme. Tu me lances :
« C'est bon tu as fini là ? » d'un ton narquois. Tu te moques de moi et de mon envie d'imprimer ton image sur le papier glacé d'une photo, mais tu me laisses faire.
Je ne comprends pas pourquoi tu n'aimes pas être photographié. Tu n'es pas spécialement mal à l'aise avec ton corps. Tu es charmant et tu le sais. Pourquoi alors ?
Le défilé va bientôt reprendre sa marche. Cet instant se fige pour moi, pour d'autres il s'envole. Et pour toi ?
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24 images / sec random
Randomimage après image... c'est un essai. Peut-être un raté, une réflexion écrite.