Jour 92 - Partie 3

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19h27

Ayden


J'ai ralenti ma respiration au maximum afin que ma cage thoracique devienne presque immobile. Je l'ai fait quand j'ai senti la tête d'Élise se poser contre mon dos, d'abord hésitante, puis plus assurée. J'ai cessé définitivement de respirer au moment où elle a pris une grande inspiration contre moi, et que son soupire s'est mis à résonner dans la montagne comme le requiem d'une vie aux Enfers.

Puis j'ai vu mon reflet dans la baie vitrée, notre reflet. Elle, cachée derrière moi avec à peine ses bras qui dépassent de mon buste. Moi, rouge comme un cochon de lait qu'on égorge. Alors j'ai respiré à nouveau, tout doucement.

Élise est un mystère qu'il est inimaginable d'espérer résoudre un jour. Elle est le secret de l'univers, l'autre côté du trou noir. Personne n'a envie de savoir, pourtant tout le monde aimerait passer son temps à chercher. Mais Élise est un mystère international et elle dépasse les frontières plus encore que je le pensais. Ces actes, quels qu'ils soient, ont un jour changé le monde.

Bien sûr, j'ai envie de creuser jusqu'à trouver ce secret qui est le sien. Putain, je donnerai cher pour ça. Je le ferai pas. Ce serait comme fouiller dans le tiroir où elle range ses culottes sans sa permission, en bien pire. Le SRC ne s'encombre pas d'une quelconque culpabilité, jusqu'à oser débarquer chez moi et faire du gringue à mon invitée momentanée. Samira insiste tant que ça pourrait être qualifié de harcèlement, mais elle a rien compris. Elle n'a pas compris Élise, ni elle ni le SRC.

À vouloir la réparer, ils vont à l'encontre de la volonté qui est la sienne.

Élise ne veut pas remonter à la surface, elle ne veut pas des bons sentiments de ceux qui se sentent reconnaissants. Elle est ce cheval de course chéri des PMU, le plus rapide, le plus puissant, le donné gagnant d'office qui passe haut la main tous les tests de dopage. Réformée des courses après une carrière éclair, Élise a accepté son destin et se tient prête pour l'abattoir.

Derrière moi, un nouveau soupir. Je me crispe tandis qu'elle glisse son front le long de ma colonne vertébrale. Je ne pensais pas avoir contracté mes abdos aussi longtemps. J'arrête de le faire quand un frisson surprenant me saisit du haut de mon crâne jusque dans mon ventre.

En contemplant mon reflet, je réalise que je ne suis qu'un putain de passeur. Charon dans sa barque qui fait des va et vient sur le Styx, prêt à prendre cette nouvelle âme et la guider jusqu'aux Enfers. En attendant, je suis là, comme un soignant restant au chevet de sa patiente aux soins palliatifs.

Il reste moins de trois-cents jours. Trois-cents jours pour continuer d'ignorer que je vis avec une héroïne internationale ou trois-cents jours pour découvrir ce qu'elle est vraiment.

La décision n'est pas évidente et va à l'encontre de ce que je m'étais promis, mais je n'aurais pas à la prendre ce soir. Me détournant de mes pensées, mon ventre se met à émettre un bruit sourd long et plaintif, le genre de bruit que nous ne pouvons ni l'un ni l'autre ignorer. J'ai faim.

— J'ai faim, j'annonce comme si elle pouvait ne pas avoir entendu le cri de mon estomac alors que même les quelques lièvres restants ont dû partir se cacher dans les bosquets.

Comme pour appuyer mes propos, je tape fermement mon ventre. Élise en profite pour se redresser et sa tête quitte mon dos. Pendant une seconde à peine, je regrette son contact.

— Allons manger, propose-t-elle avant de débarrasser la table et s'engouffrer dans le salon.

Je la suis en silence, regardant son dos et sa posture droite, presque fière de porter sur elle le poids du monde.

366 joursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant