𝟑.𝟐 | 𝐔𝐧 𝐜𝐡𝐚𝐮𝐟𝐟𝐞𝐮𝐫 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐂𝐞𝐧𝐝𝐫𝐢𝐥𝐥𝐨𝐧

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Quand je rejoins ma mère et ma sœur, je prends enfin un instant pour les contempler. Elles sont magnifiques. Maman a opté pour une robe légère mi-longue, ceinturée d'un tissu plus épais et scintillant, le tout rehaussé de jolis talons compensés beige clair. Quant à Isabella, c'est sans surprise – mais avec un gros pincement au cœur – que je découvre la plus belle des mariées. Une robe champagne digne d'une reine, parsemée de magnifiques broderies blanches et dont la traîne, que ma mère s'active à remettre en place, doit facilement atteindre un mètre au sol.

— Mon Dieu Isa... Tu es tellement belle ! ne puis-je m'empêcher d'exulter.

Elle rougit, les yeux humides et les mains tremblantes. Je me précipite pour essuyer ses larmes avant qu'elles n'abîment son maquillage et replace une mèche chocolat qui s'est échappée de son chignon haut.

— Bon, je vais prévenir tout le monde qu'on peut enfin commencer ! se réjouit ma mère en me serrant enfin dans ses bras. Vous êtes toutes les deux sublimes, mes chéries. Votre père serait si fier.

L'émotion me submerge. Parler de Papa m'est encore très pénible. Contrairement à elles, qui gardent l'image d'un regard pétillant et d'un sourire bienveillant, je ne peux dissiper celle de son corps sans vie, étalé sur le sol de son cabinet. Je n'ai rien pu faire. En une fraction de seconde, la mort m'a dépossédée de l'homme que j'aimais le plus au monde. Après m'avoir arraché si souvent aux êtres qui m'étaient chers, voilà qu'elle me donnait le coup de grâce. J'entends encore son dernier cri de douleur ; le hurlement de cette peine qui me ronge depuis huit mois. Depuis qu'il n'est plus là.

— Tu es prête, Cookie ?

Cookie. Un surnom qui m'a toujours fait sourire. C'est ainsi que mon père m'appelait lorsque j'étais triste. Il venait toujours me réconforter avec une boîte de mouchoirs dans laquelle il cachait des biscuits. Ma mère n'en a jamais rien su, mais Isabella était dans la confidence – moyennant quelques sucreries en échange de son silence. Il a continué à le faire jusqu'à... la fin. La veille de sa mort, alors que je venais de me faire larguer par mon fiancé, il courait m'acheter des gâteaux à la supérette, en face de l'immeuble où il exerçait. Il y avait joint un mot, une phrase qu'il aimait tout particulièrement : « Les seules personnes qui méritent tes larmes ne les feront jamais couler. » Aujourd'hui, ces souvenirs me déchirent l'âme et le cœur, mais je reste digne. Non, je ne craquerai pas. Pas maintenant. Pas aujourd'hui.

— C'est parti ! clamé-je en glissant mes doigts entre les siens.

Nous avançons au rythme de la douce mélodie d'un piano. En sortant du bâtiment, je découvre un peu plus loin une bonne centaine d'invités, debout devant leurs chaises blanches, leurs regards posés sur nous – sur elle –, émus aux larmes pour la plupart. Pas un bruit étranger ne vient perturber la quiétude de ce moment, tandis que nous traversons la Grande Allée en direction de celui qui partage la vie de ma sœur depuis trois ans. Nos pas sont étouffés par un long tapis rouge qui a été disposé sur les pavés, puis sur l'herbe. Le gazon qui nous entoure est parfaitement entretenu, le vert profond tranche avec la clarté ambiante. À ma gauche, je reconnais notre tante Sally qui donne discrètement un coup de coude à Fred, mon cousin, mâchouillant un peu trop négligemment son chewing-gum. Il y a aussi Laura et Ingrid, des collègues de travail d'Isabella. Juste devant eux, Donna et Nathaniel, sa meilleure amie et son mari. À ma droite, je ne connais pratiquement personne à part les parents d'Anthony, aux premiers rangs. Thomas, son témoin et meilleur ami se tient juste derrière lui. À l'ombre d'un imposant et somptueux cèdre, face à nous, le futur marié en costume beige et cravate assortie demeure parfaitement immobile, un sourire scotché aux lèvres et les mains jointes devant lui.

Ma poitrine se serre, mon cœur percute avec force ma cage thoracique. Je suis tellement contente pour elle, envahie par un nœud d'émotions que je ne saurais démêler. Je sens ses doigts accentuer la pression sur les miens alors que je suis sur le point de la lâcher pour la laisser regagner sa place. Je dépose un tendre baiser sur le dos de sa main, la vision brouillée, et m'avance sur sa gauche, tandis qu'elle s'empresse d'attraper celle de son futur époux. La musique perd en intensité jusqu'à s'éteindre complètement. La foule s'assoit comme un seul homme et la voix de l'officiant raisonne dans le silence.

— Mesdames et Messieurs, nous sommes réunis ici pour célébrer le mariage d'Isabella Valcan et d'Anthony Morin.

Mon regard sillonne avec intérêt la dizaine de rangées d'invités, comme à la recherche de quelque chose, mais sans savoir quoi. Je perds le fil de l'instant présent, les voix ne deviennent plus qu'un bruissement sourd et lointain. Un nom, un regard saphir, prend soudain toute la place. Basile. Je ne comprends pas vraiment pourquoi je pense à lui, là, maintenant, mais sans doute que l'ambiance « conte de fée » incite à la sensiblerie. J'espère que ses problèmes avec Andrea finiront par s'arranger. Je ne le connais pas plus que ça, mais la bonté dont il a fait preuve envers moi me pousse à croire que c'est un mec bien et qu'il mérite d'être heureux, comme l'est ma sœur aujourd'hui.

Comme j'espère moi aussi l'être un jour. Sans forcément parler mariage, j'en suis très loin. Mais simplement... être heureuse.

J'observe les dizaines de visages tournés vers les mariés, les larmes, les sourires, les insondables et les distraits. Je souffle en souriant, émue, en voyant Maman qui pleure déjà à flot continu. Je devine la joie de voir sa fille et son compagnon célébrer leur amour, sceller leur union, ainsi que la tristesse d'avoir perdu l'amour de sa vie. Cette chaise, désespérément vide à ses côtés, nous rappelle à tous que quelqu'un manque à l'appel. Mais Isabella n'a pas eu le courage d'effacer sa présence d'un coup de gomme sur une liste ; je la comprends.

— Léah ?

Telle la pointe d'une aiguille heurtant la bulle de mes pensées, l'impatience empreinte dans le timbre de ma sœur sonne comme une alarme dans ma tête.

— Euh... oui, pardon. Quoi ?

— Ton discours. C'est maintenant, murmure-t-elle en balançant son menton vers l'avant.

Oh merde, mon discours !

Avec tout ça, j'avais presque oublié l'avoir oublié.

— Ah oui. Mon... mon discours. C'est... maintenant.

Les jambes tremblantes et mon cerveau me suppliant d'aller me terrer dans le parking, je finis par me lever et me retrouve devant cette assemblée qui, cette fois, a bien les yeux rivés sur moi. Juste moi. Moi et mon silence. Moi et mon malaise. Moi et mon incapacité à aligner deux phrases en public, sans avoir sous le nez le texte écrit noir sur blanc.

— Bonjour, je... Je suis Léah, la petite sœur d'Isabella, la mariée. Enfin, oui, vous savez qu'Isa est la mariée puisque vous avez été invité à son mariage, meublé-je en espérant dire quelque chose d'intelligent avant de disparaître complètement sous ma honte. J'avais... préparé un truc, mais je l'ai...

Un jour, mon père m'a dit que, pour vaincre sa peur de parler en public, il fallait relever les yeux vers l'horizon. Alors c'est ce que je fais. J'inspire profondément et laisse mes prunelles s'ancrer à un point précis, au loin, au pied de ce grand hôtel qui donne l'impression de briller sous l'éclat du soleil. Un point, ou plutôt... un homme. Chemise blanche, cravate et pantalon noirs, il s'avance avec nonchalance – peut-être est-ce de l'hésitation ? –, les mains flanquées au fond de ses poches. Ce n'est que lorsqu'il arrive au niveau des derniers rangs d'invités que je le reconnais. Boucles caramel et barbe soyeuse. Lunettes de soleil et sourire à tomber. Je réalise. Mon cœur rate un battement. Puis deux. J'oublie les gens, le discours, le mariage, ma position, comment respirer.

Il est là.

Basile est revenu.

Summer RainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant