Le vent et le rythme rapide de son pas faisait ondoyer sa longue cape et ébouriffait ses cheveux blonds. Il respira un grand coup, savourant ce précieux moment où il arrivait à se sentir un tant sois peu vivant. Il n'était pas qu'une carapace vide, il était plus que ça même s'il lui arrivait souvent de l'oublier. L'air puissant qui soufflait et qui emplissait ses poumons, l'odeur du feu de bois, c'était comme s'il se réveillait d'un long sommeil sans rêve et qu'il remarquait l'environnement qui l'entourait pour la première fois depuis un bon moment. Matthew porta la main à la petite croix en or qui pendait le long de son cou. C'était une sorte de remerciement pour la mission confiée qu'il allait de nouveau mener à bien, les forces divines lui redonnaient quelques morceaux de son humanité perdue. Mais tout cela n'était qu'éphémère et Matthew retomba dans son apathie habituelle et ses sentiments et émotions apparues tantôt furent emportés par le vent.
La petite cabane délabrée se dressait maintenant face à Matthew et au petit groupe de villageois, les fenêtres crasseuses ne permettaient pas de voir l'intérieur de la pièce et rien n'indiquait un quelconque signe de vie humaine en ce lieu. Les plus peureux se signèrent en marmonnant des formules incompréhensibles puis l'inquisiteur frappa trois grands coups qui firent trembler les murs. Presque aussitôt la porte s'ouvrit en grinçant, faisant apparaître une jeune fille d'environ dix-huit ans qui avait de longs cheveux aussi blancs que la neige attachés en tresse qu'elle portait sur le coté et une peau qu'on pouvait aisément qualifier de translucide. Elle regardait ses pieds, intimidée par tous ces gens qui lui rendait visite. Matthew prit la parole.
-Albine ?
-Oui, c'est moi, répondit la jeune fille presque dans un chuchotement.
-Vous confirmez votre identité, je vais donc vous demander de me suivre car vous êtes actuellement arrêtée par l'Inquisition. Des accusations solides ont été portées contre votre personne, vous allez être jugée et suite à cela vous subirez le châtiment qui en résultera.
Albine ne répondit rien. Elle leva simplement les yeux qu'elle avait jusque- là gardés pointés vers le sol et les planta dans ceux de Matthew. Instinctivement celui-ci porta la main à sa croix et tressaillit. Ils étaient exactement comme on lui avait décrit. Rouges.
-Quelle horreur, murmura-t-il inaudiblement. Il se retourna et fit signe aux gardes de s'emparer de la jeune fille, qui n'opposa pas la moindre résistance.
Alors que toute la troupe avait à peine parcouru quelques pas, un cri de désespoir retentit dans leur dos. Une vieille femme aux jambes qui vacillaient sous son poids se raccrochait à l'embrasure de la porte à grand peine pour se maintenir debout, de grosses larmes jaillissaient de ses yeux d'un blanc laiteux sans pupilles et roulaient le long de ses joues fripées.
-Albine ! Laissez Albine tranquille !
-Maman ! Je t'avais dit de rester cachée ! La fille aux cheveux blancs tenta de se dégager de l'emprise des gardes pour courir vers la vieille femme, mais ne faisait pas le poids face aux montagnes de muscles qui la retenaient prisonnière.
-Je vous en conjure, Albine n'a jamais rien fait de mal ! C'est une fille bien !
Un rictus malsain se dessina sur le visage de Matthew.
-Alors c'est donc toi vieille sorcière qui as recueilli et défendu cette fille du Diable ? Tu es coupable tout autant qu'elle.
-Albine est simplement née comme ça, il n'y a aucun rapport avec de quelconque forces maléfiques ! C'est vous...c'est vous les monstres !
A ces mots, la vieille femme cracha aux pieds de l'inquisiteur.
-Espèce de vieille folle, grinça-t-il entre les dents, emparez-vous d'elle, nous la brûlerons dès ce soir. Quant à l'autre, enfermez là dans les anciens cachots du manoir en ruine, nous la jugerons publiquement demain.
Les gardes acquiescèrent, et ignorant les cris et les implorations des deux femmes, les emmenèrent chacune de leur coté.
Les larmes coulèrent sur le visage d'Albine tout le long du trajet, elle supplia jusqu'à ce que sa voix ne devienne pratiquement inexistante qu'on la brûle à la place de sa mère mais personne ne lui répondit et on la jeta sans ménagement dans une pièce sinistre, envahie par les mauvaises herbes. Comme seul meuble, une paillasse en bois. Elle se recroquevilla en position fœtale sur les dalles humides qui malgré tout restaient plus confortable que la paillasse. Les bourrasques de vent froid qui s'engouffraient par la petite fenêtre à barreaux la pénétraient jusqu'aux os. Elle s'en fichait, le désespoir la pénétrait encore plus profondément. Il avait déjà transpercé son cœur qui saignait autant que les larmes coulaient sur ses joues. La jeune fille repensa à tous les dimanches où elle n'avait jamais manqué d'aller à la messe, à tous les soirs où, du tréfonds de son âme, elle remerciait Dieu pour la journée vécue. Elle avait toujours été une croyante fidèle et pleine de foi, alors pourquoi tout cela lui arrivait-t-il ? Non, il ne fallait pas laisser la haine et la colère panser les plaies de son cœur, elle allait mourir certainement, mais telle qu'elle avait toujours été. De toute façon maintenant que la seule et unique personne qui l'avait aimé allait disparaître en fumée plus aucun lien ne la rattachait à ce bas monde. C'était sûrement mieux ainsi. Elle irait libre dans l'autre monde. Peu à peu son esprit s'embruma, ses larmes se tarirent et sa poitrine retrouva un rythme régulier. Albine lâcha prise et s'envola loin de la triste réalité le temps d'un instant.Ce fut l'odeur du feu de bois qui la tira de son sommeil. La jeune fille se leva lentement et approcha son visage des barreaux qui la séparaient du monde extérieur. Au loin, elle pouvait apercevoir les flammes qui dansaient et semblaient monter dans le ciel d'un noir de jais.
-Ne t'inquiète pas, je vais bientôt te rejoindre, pensa-t-elle.
Et un faux sourire qui reflétait toute sa tristesse se dessina sur ses lèvres.
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Blanc comme les Cendres
Historical FictionDans l'horreur, les cris et les larmes le destin de deux mystérieux protagoniste s'entrelace tel une toile d'araignée. Une toile rouge sang.